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Affaire Sajber : un scandale yougoslave

En 1986, la dernière journée du championnat de Yougoslavie est annulée, rejouée puis validée un an plus tard, créant l’une des plus grandes controverses de l’histoire du football est-européen.

Auteur : Predrag Ducic le 23 Fev 2017

 

 

Publié dans Mozzartsport le 11 mai 2015. Traduction: Guillaume Balout.

 

 

* * *

 

Brûlante actualité footballistique en cet été 1986... Au Mexique, l’Argentine est sacrée championne du monde pour la deuxième fois après que Maradona eut giflé les Anglais avec sa main de Dieu et son inimitable slalom. Gary Lineker et Mark Hughes signent, en grande pompe, à Barcelone. Le Steaua Bucarest réalise un coup retentissant en battant, justement, les Catalans en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions. Peu après, Alex Ferguson prend la tête de Manchester United.

 

 

Au même moment, en Yougoslavie, tout est censé être au diapason du XIIIème congrès de la Ligue des communistes et du plan de rigueur de Milka Planinc, la "Dame de fer" yougoslave. Le pouvoir d’achat moyen recule à son niveau de 1968. Il y a des files d’attente pour un litre d’huile et un kilo de sucre. On broie de la chicorée – cette plante aux magnifiques pétales bleus –, le café devenant un privilège rare. On circule selon la règle des plaques d’immatriculation paires et impaires. Une pénurie de combustible sans précédent se fait partout sentir. C’est dans une telle atmosphère que le championnat de football connaîtra l’issue la plus palpitante de son histoire. Il devait y avoir du spectacle mais tout s’est transformé en une incroyable bouffonnerie connue sous le nom d’ "affaire Šajber". Elle aura ébranlé, comme jamais auparavant dans la région, toutes les structures de la société socialiste.

 

 

Un "M. Propre" à la rescousse

Slavko Šajber est alors le président de la Fédération yougoslave de football (FSJ), un dirigeant politique et sportif à succès. Avant d’occuper la plus haute fonction de la FSJ, il est considéré comme l’un des hommes-clés de la fondation du grand et puissant Cibona au basket. En 1978, il fait changer le nom du club en Lokomotiva, réunit tout ce que Zagreb compte comme entreprises influentes et jette les bases de ses deux titres continentaux [1]. Šajber, dit-on, arrive à Belgrade avec la réputation d’un fonctionnaire compétent qui doit travailler à la professionnalisation du football ainsi qu’à l’éradication d’irrégularités et de divers intermédiaires. Accessoirement, il a pour objectif d’obtenir du pouvoir l’autorisation, pour les clubs, d’engager des joueurs étrangers. Au lieu de cela, il restera associé à la mafia du football qui se faisait de plus en plus remarquer à cette époque. On raconte que Stane Dolanc [2] en personne l’a déconseillé de se mêler à ce panier de crabes. Mais il n’a pas voulu renoncer…

 

Šajber annule la totalité de la dernière journée de la saison 1985/86 de Division 1 yougoslave. La raison? Des doutes fondés sur des matches arrangés. Parmi les résultats de premier ordre, le Partizan est sacré champion grâce à une meilleure différence de buts par rapport à l’Étoile rouge. Les confrontations des rivaux éternels de Belgrade ne sont toutefois pas les seules à éveiller les soupçons. C’est le cas de presque toutes les autres qui présentent un enjeu. La FSJ ordonne que toute la journée soit rejouée mais puisque les Noir et Blanc [3] refusent de revenir sur le terrain, la première place leur échappe. Aux Rouge et Blanc, le titre. Tous les clubs pour lesquels demeure une suspicion sont condamnés à une pénalité de six points pour le prochain exercice. Pour autant, ce n’est pas fini… Dans la mesure où le tribunal arbitral du travail et le tribunal de première instance reviennent sur toutes les décisions des instances sportives, un véritable chaos, qui se prolongera la saison suivante, voit le jour.

 

 

Dzarovski de la partie

Le plus important scandale de l’histoire du football yougoslave a beau s’être produit il y a trente ans, les souvenirs restent vivaces. Les histoires sur les "šajbériades" ou "la journée de Šajber", ainsi qu’on désigne communément les décisions de la FSJ, suscitent toujours la controverse. Qui en a profité? Qui a été lésé? Est-ce que quelqu’un a jamais été honnête dans cette histoire? Même les aveux, des années plus tard, de l’un de ses principaux protagonistes, Velibor Džarovski, n’ont pas apporté tous les éclaircissements… "À l’époque, Šajber m’a accusé d’avoir arrangé dix-sept matches de première et deuxième divisions. Ce n’est pas vrai! J’en avais arrangé dix-huit."

 

 

Des années après cette saison, l’affaire Šajber n’en finit plus de faire jaser, notamment à Belgrade. L’Étoile rouge, aujourd’hui encore, ne peut regretter ce titre retiré (et rendu au Partizan) par voie de justice. Les Noir et Blanc vont plus loin. "Sans l’affaire Šajber et l’annulation du titre, le Partizan aurait disputé la Coupe d’Europe des clubs champions deux années consécutives. Après des pressions de différents lobbies, c’est l’Étoile rouge qui y a eu droit puis le Vardar l’été suivant. Si nous nous étions retrouvés à leur place, comme cela aurait dû être le cas, il y aurait vraisemblablement eu plus de joueurs de qualité qui seraient venus chez nous plutôt qu’à l’Étoile rouge. Objectivement, nous aurions peut-être remporté le titre de champion d’Europe à leur place, déclare Žarko Zecevic, l’un des dirigeants du Partizan à l’époque. Je ne parle ni en l’air, ni à l’emporte-pièce. En vingt-cinq ans, le Partizan a construit une grande équipe à quatre reprises. Surtout avec Milko Gjurovski, Vucicevic, Vokrri… Nous avions remporté deux titres. Si nous avions recruté deux ou trois joueurs, nous serions vraisemblablement parvenus au niveau de l’Étoile rouge. Nous avions Siniša Mihajlovic en vue. Darko Pancev était celui qui était le plus près du Partizan à cette époque. Nous avions trouvé un arrangement avec l’attaquant macédonien. Il voulait seulement que nous lui apportions des garanties bancaires. À partir du moment où elles nous ont fait défaut, l’Étoile rouge s’en est mêlée…"

 

 

La Belgrade-Sarajevo konekcija

Voici à quoi a ressemblé la dernière journée de la saison 1985/86 du championnat de Yougoslavie. Samedi 14 juin. Le Partizan et l’Étoile rouge possèdent le même nombre de points. Les Noir et Blanc sont en tête du classement en vertu d’une meilleure différence de buts. Les yeux de vingt millions de Yougoslaves sont tantôt braqués vers le stade Koševo, où le FK Sarajevo reçoit l’Étoile rouge, tantôt vers la rue Humska, où le Partizan accueille le Željeznicar Sarajevo. Plusieurs jours avant ce samedi décisif, d’aucuns, dans les milieux footballistiques du pays, évoquent ouvertement ce qui va se produire. Tout respire la mise en scène éhontée. À l’hôtel Europa, tout près du bazar de Sarajevo, les arbitres du Sarajevo-Étoile rouge dînent avec des journalistes et des représentants des deux clubs la veille du match…

 

- "Sur qui pariez-vous pour le titre de champion?", demande directement l’arbitre principal Goce Popev à Stevan Zec, le reporter de Tempo avec lequel il vient de regarder Danemark-Allemagne de l’Ouest au Mondial mexicain.
- "Sur celui qui débutera son match le plus tard", lui répond Zec sans détour. Il suffit de retarder le match de cinq, dix minutes et tout est réglé.
- "En ce qui concerne mon match, vous verrez demain qu’il commencera et finira exactement à l’heure", rétorque Popev, catégorique.

 

Les journaux du matin sont inondés de déclarations de Boško Antic, l’entraîneur de Sarajevo. Sarajevo reste le champion en titre et en ville, cela fait des jours que l’on se demande bien comment l’Étoile rouge réussira à lui marquer des buts et comment le Željeznicar s’effondrera à Belgrade. Le Željeznicar, demi-finaliste de la Coupe de l’UEFA la saison précédente, compte dans ses rangs des vedettes telles que Baždarevic, Šabanadžovic, Samardžija, Capljic, Radmilo Mihajlovic... "Enfin, pas plus le Željo que nous ne sommes des punching-balls pour l’Étoile rouge et le Partizan! Nous ne sommes quand même pas leur filiale! En gagnant, nous allons montrer que toutes ces histoires sont de véritables mensonges", s’indigne Antic.

 

 

Le coup du bouquet de fleurs

Arrivent enfin ces quatre-vingt-dix minutes décisives. L’Étoile rouge et le Partizan disposent tous les deux d’un atout dans leur manche, à ceci près que la manœuvre des Rouge et Blanc échoue. L’arbitre Popev tient réellement la promesse faite la nuit précédente à l’hôtel Europa. Dans tout ce cirque, cela finira par se retourner contre lui. En effet, le gardien des Belgradois, Živan Ljukovcan, dispute son dernier match avant son départ à Fenerbahçe. À cette occasion, on prévoit une cérémonie d’adieu qui doit s’éterniser, avec remise de cadeau et bouquet de fleurs, mais Popev n’est pas dupe. Il n’autorise rien de cela et le match du Koševo débute à l’heure, comme prévu. À 17 heures précises. À Belgrade, pourtant, c’est une tout autre histoire. Zvonko Živkovic et Zvonko Varga, qui partiront respectivement au Benfica et au Standard de Liège, font leurs adieux aux Noir et Blanc. À la différence de son homologue Popev, Berisha Shinasi autorise bel et bien la cérémonie, l’exact scénario qui aurait dû avoir lieu à Sarajevo. Très vite, tout devient hors de contrôle, à tel point que Shinasi doit poursuivre les photographes et les chasser du terrain. Cela dure une bonne quinzaine de minutes.

 

 

Le match du Partizan n’a pas débuté que l’Étoile rouge mène déjà 2-0 grâce à Gjurovski. Quand Milan Jankovic inscrit le troisième but au Koševo, on joue seulement la 18e minute à Belgrade où le score est toujours vierge. Le Partizan prend l’avantage après une frappe de Živkovic à la 26e minute tandis que les Rouge et Blanc rentrent aux vestiaires, à la mi-temps, avec un écart suffisant de trois buts. Admir Smajic et Varga marquent aux 40e et 42e minutes. Dans le pays, il n’existe plus un seul supporter de bonne foi qui ne se rend pas compte de ce qui est en train de se tramer, ni même qui a des doutes… Agacé par le comportement de certains de ses coéquipiers, Mihajlovic, attaquant du Željeznicar, inscrit un but par sa seule obstination, au terme d’une percée solitaire. Shinasi le refuse…

 

- "Qu’est-ce qu’il t’arrive, garçon?! Quel hors-jeu?", répète le buteur de Sarajevo, sur le même terrain, pour le documentaire Du football et bien plus encore [4].
- "Mais t’es pas au courant? Allez, dégage, ouste!", lui aurait répondu Shinasi.

"J’étais révolté et résolu à plomber le plan des joueurs qui étaient au courant. À la mi-temps, j’ai jeté mon maillot, décidé à ne pas poursuivre", se souvient parfaitement Mihajlovic. À Sarajevo, l’Étoile rouge marque un quatrième et dernier but à la 49e minute. Gjurovski, encore. Lorsque le match s’achève au Koševo, les Noir et Blanc portent leur avantage à 4-0 grâce à Milinko Pantic. Il reste encore quinze minutes mais le score n’évoluera plus. Ce n’est plus utile. Rue Humska, la célébration du titre peut débuter…

 

 

Gjurovski accuse Bazdarevic

Sarajevo, morne plaine. Des locaux humiliés, des visiteurs dupés ou, plus exactement, battus hors du terrain par leur rival éternel. Les journalistes aiguisent leur plume pour rien. Antic est introuvable durant plusieurs jours. Mais des questions attendent des réponses: comment le champion en titre, invaincu à domicile, a-t-il abdiqué sans se défendre, sans une occasion construite, sans une action dangereuse dans la moitié de terrain adverse? Comment se fait-il que la seule fois où Sarajevo a approché du but était celle où Marko Elsner a commis une boulette devant son but? Comment se fait-il que Ljukovcan n’a pas été sollicité au cours de l’une des plus grandes affiches du football yougoslave? Et que disait donc Antic dans les journaux le jour du match?

 

Environ une heure après le match au Koševo, dans le bus qui relie la délégation de l’Étoile rouge à l’aéroport de Butmir, Žare Djurovic rompt un silence sépulcral: "On perd le championnat à Nikšic! Nous avions le résultat, le jeu, le titre… Nous sommes les seuls coupables." Bora Kostic met brièvement un terme au débat entre les joueurs. Gjurovski, monté le dernier dans le bus avec un air de chien battu, rallume la mèche:
- "Moi, je m’en fous. La saison prochaine, je jouerai la Coupe d’Europe des clubs champions."
- "Ça m’étonnerait, lui répond le défenseur Slavko Radovanovic. Tu as encore trois matches de suspension par l’UEFA et le Partizan se fera sortir au premier tour.

 

À ce moment-là, il se dit avec insistance que Gjurovski est d’accord pour un transfert au Partizan. Il aura bien lieu et, le même été, Dragan "Piksi" Stojkovic arrivera à l’Étoile rouge pour le remplacer. Le dernier match de Gjurovski sous le maillot rouge et blanc fut le plus honnête possible. Il révèle au même journaliste de Tempo que ce samedi-là, un ami le déçoit bien plus que la perte du titre: "J’ai cru Baždarevic! Nous sommes camarades et je pensais vraiment qu’il ne se rendrait pas à Belgrade parce qu’il voulait aller à la plage à Dubrovnik une dernière fois avant son service militaire. Je l’ai croisé aujourd’hui à Sarajevo. Ce n’est pas loyal." À cette époque, Mehmed Baždarevic est le meilleur joueur du Željeznicar. La saison précédente, il a été désigné "Footballeur de l’année" en Yougoslavie et le sera encore l’exercice suivant.

 

 

(Presque) tous vainqueurs

Cet été-là, l’Étoile rouge, le Partizan, le Željeznicar et Sarajevo ne sont pas les seuls à souiller le football yougoslave. Dix autres clubs prennent part à des arrangements. À Novi Sad, le Dinamo de Ciro Blaževic humilie (1-7) un Vojvodina qui a déjà digéré sa saison. Les Zagrébois font exploser une différence de buts qui leur est nécessaire pour se qualifier en Coupe de l’UEFA. Se séparant sur un anodin 1-1, le Celik et Rijeka échappent à la polémique bien que ce résultat, assurant le maintien à Zenica et l’Europe à Rijeka, satisfait l’un et l’autre. Rijeka ne peut finir devant le Hajduk Split qui inflige un 5-3 au Dinamo Vinkovci. Diable, trois buts des visiteurs au stade Poljud? Mais à quoi bon? Réponse simple: dans la course au titre de meilleur buteur du championnat qu’il mène avec Miloš Bursac du Sutjeska Nikšic, Davor Cop doit marquer le plus possible. L’attaquant de Vinkovci est bien évidemment l’auteur des trois buts, devançant ainsi Bursac (22-20) et sécurisant son transfert à Empoli. Même le derby monténégrin entre le Buducnost Titograd et le Sutjeska se déroule exactement comme il sied à l’un et à l’autre: 5-5. Un tel résultat, riche en buts, leur garantit le maintien en vertu d’une meilleure attaque par rapport à leurs rivaux.

 

 

Peut-être la plus grande surprise a-t-elle lieu à Mostar où le Velež, vainqueur de la coupe de Yougoslavie et troisième du classement, s’incline contre l’OFK Belgrade (2-3). Ce dernier ne parvient toutefois pas à se sauver à cause de cinq malheureux buts. Les deux seules rencontres honnêtes sont celles entre Osijek et le Sloboda Tuzla et entre Prishtina et le Vardar Skopje [5]. Vous vous demandez pourquoi? Enfin, cela ne doit venir à l’esprit de personne… Alors que le Partizan fête son dixième titre dans son stade, Šajber se prépare à prendre une décision radicale. Six jours plus tard, le 20 juin, la FSJ publie finalement un communiqué: "Toutes les rencontres suspicieuses de la dernière journée seront rejouées et tous les clubs pour lesquels il existe des indices montrant qu’ils sont impliqués dans des activités malhonnêtes débuteront le prochain exercice avec six points de pénalité." Tous, à l’exception du Partizan et du Dinamo Zagreb, acceptent l’injonction de Šajber.

 

À la réunion de la FSJ, les Noir et Blanc sont représentés par Žarko Zecevic, le général Zdravko Loncar et Špiro Sinovcic, agent des services secrets. Loncar et Sinovcic, les plus virulents, quittent la réunion de façon théâtrale, annonçant une procédure judiciaire et une notification pénale à l’encontre du président de la FSJ. Selon eux, "il n’est pas possible de porter de tels coups et d’agiter le public en plein congrès du Parti". Cela n’effraie pas Šajber. Il s’en tient à sa décision et menace le Dinamo et le Partizan d’exclusion du championnat en cas de refus de rejouer leur match. Les Zagrébois obtempèrent rapidement mais la direction du Partizan reste ferme: "Si nous rejouons, cela signifie que nous reconnaissons avoir pris part à un arrangement."

 

 

Le Vardar, champion recalé

L’Étoile rouge perd son match (1-2) rejoué à Sarajevo. Les joueurs du Željeznicar entrent sur le terrain du Partizan mais pas les Noir et Blanc. Ce jour-là, pour la première fois, on entend descendre des tribunes du stade la clameur: "Ne donnons pas le titre, ne donnons pas le titre!" La FSJ enregistre le match à Belgrade par 0-3 en faveur des visiteurs et le titre file vers l’Étoile rouge en vertu d’une meilleure différence de buts, d’une unité en sa faveur. À titre provisoire, encore une fois.

 

Les menaces du Partizan ne sont pas que verbales. Comme c’était pourtant annoncé, le club n’est pas exclu du championnat et débute la saison suivante avec une pénalité de six points. Pendant que le championnat suit son cours, la procédure judiciaire traîne en longueur. En 1987, le Vardar de Pancev, Najdoski, Kanatlarovski, Goracinov et Janevski est champion avec six points de plus que les Noir et Blanc. À l’instar de l’Étoile rouge une saison plus tôt, le club macédonien décroche l’opportunité de disputer la Coupe d’Europe des clubs champions, ce qui marquera profondément les supporters du Partizan après avoir pris connaissance de la décision du tribunal: "Il n’existe aucune preuve d’arrangement. Toutes les décisions de la FSJ sont annulées." Cela revient à dire que la décision du retrait de points est caduque et, par conséquent, que les Noir et Blanc sont officiellement champions les deux saisons suspicieuses. On attribue, par décret, un dixième puis un onzième titre au Partizan.

 

Lors de la première saison où il est handicapé par sa non-participation à la Coupe d’Europe des clubs champions, le Partizan est éliminé au premier tour de la Coupe de l’UEFA par le Borussia Mönchengladbach. S’ensuit, l’année suivante, le plus grand affront de l’histoire du club face au Flamurtari Vlorë, toujours au premier tour de cette compétition. Pour son unique participation au sein de l’élite européenne, le Vardar ne parvient pas à s’imposer: il est balayé par Porto (0-6 sur les deux matches). Ces années-là, c’est l’Étoile rouge qui va le plus loin puisqu’elle ne chute qu’en quart de finale de la C1 contre le Real Madrid.

 

 

Sajber interpellé à Vienne

Le président de la FSJ est banni du monde du football peu après l’affaire qui a secoué le pays. La nouvelle fait l’effet d’une bombe: Šajber est arrêté à Vienne en tentant de vendre des pièces d’or illégalement sorties du pays. L’homme, auquel l’honnête société yougoslave a d’abord serré la main et dont elle a salué l’intention de chasser la mafia du football, est complètement ostracisé de la vie politique et sociale. Dans certains cercles footballistiques, on a vu ces histoires d’arrangement comme une revanche par rapport à tout ce qu’il essayait de réformer, mais ce n’est pas allé plus loin. Les Croates, à propos de l’action de Šajber, ont considéré, bien des années plus tard, cela comme une manifestation de la justice et une réponse à la domination serbe.

 

Un jour, à des confrères croates lui demandant clairement s’il avait eu le sentiment de défendre la "cause croate" à Belgrade, il a répondu: "D’aucune façon. Il y a quelques années, Darko Tironi, alors rédacteur en chef des Sportske novosti, m’a sollicité pour une interview. Il m’expliquait qu’en sanctionnant l’Étoile rouge et le Partizan, j’avais été le premier Croate à avoir publiquement infligé un camouflet aux Serbes. Je lui demandé: ‘Et qu’en est-il alors du Dinamo et de Rijeka, que j’ai également sanctionnés?’ Je n’ai pas sanctionné des Serbes mais des voleurs et parmi ceux-là, il y avait aussi des Croates. Qu’on se comprenne bien: je savais que Belgrade était le cœur du pouvoir et que beaucoup de Serbes usurpaient leurs droits. C’est pourquoi j’ai consenti à prendre la présidence de la FSJ. Je souhaitais briser cette hégémonie et remettre un peu d’ordre. Mais ça n’avait aucun rapport avec une question de nationalités. J’ai toujours eu beaucoup de bons amis chez les Serbes et beaucoup d’ennemis chez les Croates impliqués dans des affaires criminelles."

 

Šajber décède des suites d’une longue maladie en 2003 à Zagreb. Il projetait d’écrire ses mémoires, ce qu’il n’a jamais fait. Dans l’ombre du scandale monumental de cette année 1986, de grandes performances d’athlètes yougoslaves ont été réalisées. En Suisse, les handballeurs sont devenus champions du monde et le Metaloplastika Šabac a défendu son titre de champion d’Europe. On se doit toutefois d’ajouter que la capitale serbe s’est inclinée face à Barcelone pour l’organisation des Jeux olympiques de 1992. Branko Pešic nous a quittés ainsi que, après lui, Mika Antic [6]. Ljuba Magaš [7] a été assassiné à Francfort. Les Serbes commencèrent à quitter le Kosovo en masse et Iron Maiden, après une longue pause, organisait un concert à Belgrade pour la troisième fois… Mais ce dont nous nous souvenons le mieux, c’est l’affaire Šajber. Dont nous ne connaîtrons jamais toute la vérité.

 

[1] Champion de Yougoslavie en 1982, 1984 et 1985, le Cibona Zagreb remporte l’Euroligue de basket en 1985 et 1986.
[2] Proche du maréchal Tito, Stane Dolanc est le membre slovène de la présidence de Yougoslavie de 1984 à 1989.
[3] Les Noir et Blanc désignent le Partizan, les Rouge et Blanc l’Étoile rouge.
[4] Diffusé à la télévision serbe en 2007, Fudbal, nogomet i još ponešto est un documentaire en huit épisodes, réalisé par Igor Stojimenov, retraçant l’histoire du football yougoslave au XXème siècle.
[5] Dans un entretien au quotidien serbe Telegraf en 2013, Velibor Džarovski prétend pourtant que ce 0-0 est également arrangé: selon lui, les Macédoniens ont laissé un point aux Kosovars qui en avaient besoin pour assurer leur maintien. En contrepartie, la république de Macédoine, alors touchée par une panne générale d’électricité, serait à nouveau alimentée en courant...
[6] Branko Pešic est maire de Belgrade de 1964 à 1974, Mika Antic un poète, journaliste et scénariste serbe.
[7] Ljuba Magaš est un célèbre mafieux serbe, membre du clan de Zemun.

 

Réactions

  • O Gordinho le 22/02/2017 à 15h36
    Merci à l'auteur pour cet article passionnant. Tous ces joueurs yougoslaves... quelle génération incroyable !
    Je retiendrai aussi que Tapie et Bernès sont définitivement des petits joueurs.

  • Gouffran direct le 23/02/2017 à 00h08
    En effet, super intéressant. Merci beaucoup.

    J'ai dévoré cet article et je voulais tout de suite revoir Bordeaux battre l'Étoile rouge après.


  • Vieux légume le 23/02/2017 à 08h16
    Merci beaucoup pour cet article, c'est une histoire vraiment déroutante. Et comme dit plus tôt, l'alignement de ces noms, c'était beau...

  • Espinas le 23/02/2017 à 13h59
    Beau panier de crabes. Pas un match ne semble honnête, racontée comme ça.
    Bon, les Croates ont su perpétuer la gestion yougoslave au XXIe siècle (j'étais dans les virages de Geoffroy Guichard le 17 juin dernier, heuresuement pour moi, côté opposé aux incidents)

    C'était fréquent des journées de championnat pendant la CDM ? C'est sûr que la Yougoslavie pas qualifiée+ interdiction des joueurs étrangers faisait que ça avait moins d'impact que maintenant.

  • Etienne Mattler le 23/02/2017 à 14h02
    Sacré western...

  • Corben Gallas le 23/02/2017 à 17h39
    Très intéressant, merci.

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