ETG : le chemin de Croix
De la Ligue 1 au dépôt de bilan en un temps presque record... Retour sur la courte et triste histoire de l'Évian Thonon Gaillard FC, un club qui ne carburait pas qu'à l'eau fraîche.
Le club naît sous la dénomination Évian Thonon Gaillard en 2009. Il remplace alors l'Olympique Croix-de-Savoie 74, lui-même issu de fusions successives de clubs savoyards (Football puis Olympique Croix-de-Savoie), dans les années 2000. Club amateur de haut niveau qui participe au championnat de National en 2004, 2006 puis à partir de 2008, il est connu pour quelques épopées en Coupe de France. Les deux plus beaux parcours se terminent par des éliminations en seizième de finale par des clubs de Ligue 1 (Rennes en 2004 et Lyon en 2009).
Drôle de mélange
En 2009, le club se restructure et change de statut juridique. Le nouvel actionnariat est composé d'un ensemble hétéroclite de personnalités plus ou moins liées au football. On trouve d'un côté deux entrepreneurs de la région, Esfandiar Bakhtiar (42% des parts) et Richard Tumbach (16%), de l'autre (environ 33%) quelques célébrités comme Zinédine Zidane, Bixente Lizarazu, Alain Boghossian, Sébastien Bazin ou Marc Veyrat... [1]. Cet ensemble s'est rassemblé autour de Frank Riboud, qui le qualifie de "groupe d'amis". Le PDG de Danone se place en retrait officiellement (Président d'Honneur) mais aux manettes officieusement. On imagine la plupart de ces actionnaires attirés par la lumière. Mais, pour Franck Riboud, c'est plus que cela: "L'idée de base, c'est le lien social. Nous faisons 60% de l'emploi ici."
Patrick Trotignon, proche de Riboud et ex-dirigeant du Servette FC et de la Berrichone de Châteauroux, prend la présidence. Côté sportif, Stéphane Paille est nommé entraîneur et Pascal Dupraz est aux manettes en tant que directeur sportif [2]. Avec son nouveau nom, le club joue sur l'ambiguïté du nom "Évian" qui peut désigner tout autant la marque d'eau minérale que la commune d'Évian-Les-Bains. Ici, il s'agit bien de la marque phare du groupe Danone. La typologie sur le logo du club est celle de la marque, qui bénéficiera des abus de langage des suiveurs du football "on joue Évian ce week-end" ou "les joueurs évianais". On trouve aussi dans la plupart des classements publié l'abréviation "Évian" ou "Évian-TG" au milieu de la liste des clubs dénommés via le nom de leur ville. Le club devient donc le seul club pro français et le premier depuis le Matra Racing à contenir une marque dans son nom.
La mise en avant de la marque ne se limite pas au nom du club puisque les anciennes couleurs sont abandonnées au profit du rose. Comble du bon goût, le logo des bouteilles sert de motif aux maillots. Les spécialistes rendront hommage à la tunique haut-savoyarde en lui décernant la Cacamiseta 2012. En 2014, l'ETG innovera de nouveau en étant le premier club français à vendre un espace publicitaire sur ses chaussettes.
Rien à redire
Avec l'arrivée d'Évian, les supporters historiques de Croix-de-Savoie protestent mais l'histoire est en marche. Le club monte en Ligue 2 en 2010. Le stade de Thonon-les-bains n'est pas aux normes, Évian essaye de s'exiler à Genève. Le refus de l'UEFA oblige l'ETG à choisir le Parc des sports de Annecy, soit un déménagement de soixante-quinze kilomètres... C'est dans ce stade que le club connait une ascension rapide en Ligue 1, en 2011, après une seule saison passée en L2. À cette époque, la stratégie de Danone et le parcours de l'ETG sont marqués par un succès rapide et sans accroc. Bixente Lizarazu fanfaronne à Téléfoot en déclarant qu'il courra nu "à Evian" pour célébrer la montée du club de Thonon-Gaillard. Le club n'a pourtant pas de stade, pas de centre de formation, peu d'assise populaire [3]. Mais le monde du foot n'y trouve globalement rien y redire. Certains, comme le visionnaire Frédéric Thiriez, se disent même ravis: "Son parcours exemplaire, passé en quatre ans de la CFA la Ligue 1. [...] C'est une très belle réussite et sûrement pas un feu de paille. L'ETG a pour longtemps sa place au sein de l'élite".
Le club reste ensuite en première division quatre saisons et se trouve même à un match de découvrir la Coupe d'Europe – mais perd la finale de Coupe de France contre Bordeaux en 2013. Sur cette période, Bernard Casoni obtient la promotion dans l'élite puis Pablo Correa prend la suite six mois durant. Mais l’entraîneur marquant de l'ETG en L1 restera Pascal Dupraz, coach aux discours musclés devant ses joueurs et spécialiste des coups de gueule devant la presse. Sur le terrain, peu de joueurs emblématiques marquent la courte histoire de l'ETG. Le club, qui n'a mis en place un centre de formation que tardivement, se spécialise dans la pré-retraite de baroudeurs de L1 (Olivier Sorlin, Cédric Barbosa, Jérôme Leroy, Sidney Govou...) et utilise beaucoup la la filière danoise (Christian Poulsen, Stephan Andersen, Daniel Wass). Le joueur le plus capé de l'histoire du club devient Cédric Barbosa, qui profite de son passage au pied des Alpes pour compléter son palmarès personnel d'une quatrième relégation en L2 [4].
Mort silencieuse
Au cours de la dernière saison en L1, en 2014, un projet d'augmentation du capital est proposé par Danone et ses associés. Les deux actionnaires majoritaires s'y opposent et révoquent le président Trotignon. Franck Riboud et les champions du monde 1998 notamment revendent leurs parts en catimini. Le groupe agroalimentaire coupe brusquement son sponsoring auprès de la structure professionnelle. À cette époque, Riboud renvoie la responsabilité sur les deux actionnaires principaux et déclare "sans Danone, rien n'aurait pu être fait. Rien, et juste rien!" Il ajoute: "Le centre de formation, l'association, c'est encore la Société des eaux de Danone".
Le club descend en Ligue 2 et Pascal Dupraz est renvoyé. La saison, de nouveau très difficile, s'achève par une dix-huitième place. Pour repartir en National, les dirigeants sollicitent les supporters en lançant un appel aux promesses de dons. Mais avant le démarrage de la saison 2016/17, la DNCG n'autorise pas le club à évoluer à ce niveau. L'équipe première disparaît et l'ETG est placé en redressement judiciaire en août. En décembre 2016, le club professionnel est liquidé. Une chute encore plus rapide que l'ascension, d'autant que le centre de formation et les écoles de foot ne peuvent pas être sauvés. En disparaissant définitivement, la création sportive de Franck Riboud, ses associés et Danone laisse une cinquantaine de salariés licenciés et trente jeunes du centre de formation dans l'inconnu. Le club totalise aussi un passif de dix-sept millions d'euros.
L'information n'a pas eu un très grand écho dans la presse sportive. Les micros ne se sont pas tendus vers Danone, Zinédine Zidane ou Michel Denisot pour connaître leur avis sur ce sujet. Bixente Lizarazu n'a pas non plus rendu hommage au club à Téléfoot. Et on garde en mémoire la déclaration de Franck Riboud qui faisait le bilan de son engagement sportif à la mi-2015: "Moi je veux m'amuser dans les trucs que je fais. Être au Stade de France avec toute la Savoie, j'ai trouvé sympa." L'amusement aura été de courte durée. On espère que les supporters de Croix de Savoie auront pris le temps de savourer ces moments sympas avant de constater la disparation de leur club de football, amateur et aux origines centenaires.
[1] En décembre 2012, Michel Denisot récupère 1% en versant 10.000€.
[2] Au départ de l'aventure, Pascal Dupraz et son père Jo sont aussi actionnaires au titre d'anciens dirigeants du club. Le fils Julian sera aussi directeur des services administratifs du club.
[3] En L1, l'affluence moyenne est de 10.000 spectateurs, généralement la plus faible de la division, devant l'AC Ajaccio.
[4] Après Montpellier en 2000, Troyes en 2007 et Metz en 2008.