Sabitzer, une valse à deux temps
Cette année, Red Bull innove dans la tipico-Bundesliga: la firme autrichienne, propriété du milliardaire Dietrich Mateschitz, vient d’inventer le "transfert indirect" en faveur de son club de Salzbourg. Une première… et dernière?
Intersaison, période des transferts: malgré la Coupe de monde, les clubs de foot n’ont pas oublié de gérer leurs effectifs en cette phase estivale. En Autriche, les dix clubs de l’élite locale s’activent depuis mai et la conclusion d'une saison 2013/14 écrasée par les Red Bull Salzbourg. Dans les mouvements remarquables, citons le départ de l’Austria de Vienne du meilleur buteur 2012/13 Philipp Hosiner, arrivé à Rennes, et la venue à Grödig de l’attaquant Roman Wallner qui, à trente-deux ans, en est à son quatorzième club – son huitième au pays!
Un tour de passe-passe
Parmi les affaiblissements manifestes, celui de l’attaque du Rapid de Vienne n'est pas le moins étonnant: le club rekordmeister du pays a vu partir en quelques semaines ses trois meilleurs buteurs. Troisième réalisateur du championnat 2013/14 avec ses quinze buts, Terrence Boyd – qui était dans la liste élargie des trente Américains pour le Mondial – a quitté l’Autriche pour rejoindre en D2 allemande le club promu du RB Leipzig, pour un transfert d’environ deux millions d’euros. De son côté, l’international autrichien Guido Burgstaller, deuxième meilleur attaquant du Rapid avec onze buts, est lui parti tenter sa chance à Cardiff City.
Mais ce qui a créé la polémique, c’est le transfert du troisième meilleur buteur viennois de l’an passé: Marcel Sabitzer, fils de l’ancien international Herfried Sabitzer. À vingt ans et après seulement une saison et demie chez les pros au Rapid, ce joueur tantôt ailier tantôt avant-centre a validé le 28 mai dernier son transfert au RB Leipzig pour quatre ans. En soi, ce départ vers la succursale allemande n’est pas le plus choquant, même s’il concerne un jeune joueur prometteur, polyvalent et international, qui était sous contrat avec le Rapid jusqu’en 2016.
Ce qui fait bien plus grincer des dents les dirigeants du club viennois, c’est d’avoir appris que leur désormais ex-joueur serait immédiatement prêté du Red Bull Leipzig... au Red Bull Salzbourg. Un transfert interne à la galaxie Red Bull qui n’est certes pas le premier. Mais jusque-là, les mouvements s'effectuaient généralement dans l’autre sens – cf. le départ de Roman Wallner de Salzbourg vers Leipzig début 2012 – ou alors concernaient des joueurs de second rang [1].
Le club qui aime se faire détester
Pas fous, et sevrés de titres dernièrement, les dirigeants viennois n’auraient jamais accepté un transfert direct de Sabitzer du Rapid vers l’ogre salzbourgeois. Mais avec ce transfert à destination de Leipzig, Red Bull a fait sauter – et pour pas cher – la clause à deux millions du contrat de Sabitzer qui autorisait un départ anticipé uniquement à l’international. Personne au club n’a été assez retors pour prévoir le coup (tordu) de Red Bull, qui confirme qu’il aime bien jouer avec les règles… Surtout quand c’est à son avantage.
Cela s’était déjà vu en Allemagne, par exemple avec le renommage contraint du club de Leipzig en 2009 [2]. Cela continue aujourd’hui, tant en Autriche qu’en Allemagne – cf. le forcing tenté récemment, avec menaces du patron Dietrich Mateschitz à la clef, pour ne pas faire évoluer les statuts du RB Leipzig malgré les requêtes répétées de la Ligue allemande. Avis aux rédacteurs des prochains contrats: il va y avoir du travail pour blinder les clauses de sortie [3]. Avec un tel comportement, légal mais pas très moral, le FC Red Bull Salzbourg ne doit pas s’étonner d’être l’un des clubs les plus controversés d’Autriche. À quand la récupération de ce slogan bien connu: "No one likes us, but we don't care"?
Au fait: à la reprise du championnat, Salzbourg a étrillé le Rapid de Vienne 6-1 – avec un Sabitzer entré en cours de jeu, et qui a délivré une passe décisive sur le but du 4-0. Mais le joueur saura-t-il devenir titulaire chez les Taureaux quand, devant, les internationaux y sont pléthore, et sera-t-il la clef d’une qualification tant attendue en phase de poules de C1?
[1] Voir, cet été, l’arrivée de Leipzig du gardien junior Fabian Bredlow, pour remplacer à Salzbourg le troisième gardien Thomas Dähne, qui part lui… à Leizpig.
[2] Sauf exception pour raison historique (Carl-Zeiss à Iéna, Bayer à Leverkusen), un nom de club en Allemagne ne peut inclure celui d’une entreprise. Le Red Bull Leipzig a ainsi adopté l’appellation "RasenBallsport Leipzig", une curiosité linguistique – RasenBallsport: sport de ballon sur gazon – qui a permis de sauver les initiales "RB".
[3] Boyd n’a pas suivi Sabitzer: pour sa carrière, l’international US mise sur une 2. Liga allemande reconnue plutôt que sur une Bundesliga autrichienne plus confidentielle. Même nouvellement promu, l’ambitieux RB Leipzig vise la montée dans l’élite à très court terme. Si ce but est atteint, Boyd devrait y gagner une plus forte reconnaissance qu’en Autriche.
Crédit photo : Tobias Klenze.