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Nicole éradique le football

Nicole aimait beaucoup le football: c’était un jeu amusant, pensait-elle. Un soir de fin de championnat où, dans les caniveaux houleux, la bière s’était mêlée au sang, elle eut envie de s’amuser, elle aussi.

Auteur : Stéphane Ramet le 16 Nov 2012

 

 

Le jeu qu’elle avait en tête nécessitait des moyens à la mesure de son plateau: le mercato des footballeurs eux-mêmes, que le bourgeonnement de faillites s’étendant parmi les grands clubs des ligues européennes rendrait bientôt accessibles à tout portefeuille un peu garni. Mais son portefeuille à elle n’était pas de ceux-là: il lui fallut donc se faire des amis. Elle se tourna logiquement vers la Guilde des Milliardaires Fortunés, constituée suite aux accords de Bruxelles sur le plafonnement de la capitalisation, et dont les brainstormings mensuels proposaient aux plus désœuvrés de ses membres des idées d’investissements, voire de mécénat. Elle leur écrivit un long courrier où elle leur parlait d’un projet mystérieux, qu’un seul milliardaire convaincu, assurait-elle, suffirait à lancer. La chance fit que sa lettre figurât à l’ordre du jour d’une réunion plutôt fade, en regard de laquelle le bouleversement qu’elle faisait miroiter à l’assemblée la fit frémir. Nicole fut invitée à venir personnellement en dire plus long sur ses intentions.

 

 

 

 

Le plan qu’elle leur soumit était simple: acheter un footballeur. Rien qu’un seul, pourvu qu’il fasse partie des tout meilleurs au monde, et l’univers du football serait ébranlé. Car le but n’était pas de le recruter pour le faire évoluer dans une structure différente, mais simplement, et pour voir ce que ça faisait, de l’acheter pour le retirer du marché. Il suffisait de choisir la victime parmi l’effectif d’un des nombreux clubs en difficulté financière, et de faire au club propriétaire une offre que sa situation lui interdirait de refuser; enfin, d’extraire le joueur de son milieu naturel, et de le placer sur une voie de garage. On laisserait le temps aux dirigeants surpris de s’émouvoir, aux joueurs de protester, aux journalistes de s’interroger. Puis, implacablement, on recommencerait, avec d’autres joueurs tenus pour aussi essentiels que le premier. À terme, se profilait l’éradication du football professionnel.

 

Pour flatter les prétentions intellectuelles de son auditoire, elle avait préparé un argumentaire aux allures philosophiques: ce jeu, leur dit-elle, se donnait pour mission de mettre au jour la contingence de toute une industrie, et pourquoi pas de l’existence dans sa globalité. Les participants avaient l’occasion de faire la lumière sur la non-nécessité consubstantielle à tout passement de jambe, et partant, de faire planer un doute sur tout un espace de pensée, au sein duquel ne s’étaient jusqu’alors tenus que des débats attendus, sur le choix du sponsor ou le sens du remplacement de 91e minute. Peut-être même, cette invitation à prendre du recul aidant, finirait-on par voir des supporters concurrents plaisanter ensemble, sans heurts ni canettes brisées. Mais cette touchante perspective ne serait qu’un effet collatéral au projet: elle ne constituait évidemment pas son but premier. Quelques milliardaires sourirent.

 

Tous le sentaient bien, il aurait été hors de propos de parler résultats, rentabilité et retours sur investissement. Chacun se mordait les lèvres, mais faisait de son mieux pour se plier à la logique du discours dont on les avait faits dignes. L’objectif ici, crânement improductif, était de dénoncer l’absurde par l’absurde. Et le hasard, principe de jeu, avait voulu que ce soit le football qui, en premier, passe à ce révélateur. Mais le sens de l’absurde pouvait-il prévaloir sur le sens des affaires?

 

Des visages crispés masquaient douloureusement l’intensité de ce combat intérieur. Entre les deux systèmes de valeurs, Nicole pressentit une fin de match serrée. Or elle avait un camp à faire gagner. Dans sa poche, une main de Dieu prévue à tout hasard attendait son heure: c’était le moment de la sortir. Légèrement, en trichant à peine, Nicole donna sa pichenette.

 

Elle décrivit aux milliardaires la prochaine invasion de la Guilde par les joueurs de football, que des revenus grandissants leur permettraient très bientôt d’intégrer. La majorité d’entre eux étaient déjà multimillionnaires: plus qu’un minuscule échelon à gravir, un agent financier bien choisi, et ils seraient là, en meute, se bousculant derrière la porte de cette même salle de conférences, jusqu’à la faire céder. Alors, pour les Milliardaires Fortunés, commencerait une humiliante période d’occupation. Leur langue historique, qu’ils avaient eux-mêmes élaborée, en empruntant aux régions riches du globe leurs plus beaux termes de finance, se verrait souillée par un vulgaire accent de Manchester. Leur fille de Babel devrait accueillir, tête basse, des insultes de faubourgs espagnols, et un vocabulaire technique abscons. À coup sûr, même, des doublons conduiraient à l’élimination pure et simple des éléments les plus essentiels à leur langage: combien de temps en effet CAC 40 résisterait-il, face à la concurrence de son homonyme éloigné, CR7?

 

Ce n’était pas tout: leurs locaux seraient encombrés par d’incessants tournages de spots publicitaires pour des après-shampooing; et les épouses des joueurs convieraient à leurs cocktails des parasites gominés, qui feraient main basse sur les hôtesses. Bref, une mixité intolérable pour des gens de biens.

 

La xénophobie en tant qu’arme rhétorique avait connu pas mal de succès, et dans des temps encore tout proches: Nicole était un peu honteuse de son procédé, mais satisfaite d’avoir su faire preuve d’un réalisme mature. Ce n’était qu’une phase de jeu désagréable, analysait-elle pendant que son auditoire accusait le coup, le but la justifie.

 

Un silence prolongé s’était chargé de suspense. Un milliardaire, tremblotant de peur, leva une main de petit garçon:
—J’en suis, dit-il. Je vous confie mon portefeuille.

 

Il fut suivi par d’autres. Tous signèrent prestement. Alors seulement, Nicole leur expliqua qu’elle les avait bien eus, et qu’aucun des dangers brandis par elle ne les guettait en vérité - ou alors, elle n’était pas au courant. Ahuris d’abord, mais beaux joueurs, ils se détendirent, la congratulèrent, riant d’avoir été aussi naïfs. Puisqu’on en était là, autant se prendre au jeu. Ils se penchèrent sur les images Panini que Nicole venait d’éparpiller sur la table.

Réactions

  • AKK, rends tes sets le 16/11/2012 à 08h40
    C'est marrant, pas plus tard que hier, j'ai discuté avec quelqu'un de ce que je pourrais faire de 169 millions d'euros (si j'en avais la possession bien sûr...), et je suis arrivé à une bonne idée, acheter un joueur, et le faire jouer dans mon jardin. Comme ça. Pour le plaisir.

    Voilà, c'était le moment "raconte ta vie" de la journée.

  • C. Moa le 16/11/2012 à 10h49
    Pour 169 millions, tu dois pouvoir te payer Nicosie et Copenhague, autant faire des matchs !
    (si ton jardin est trop petit, achètes qu'une équipe et fait des 5 contre 5)

    A part ça, l'article est sympa, mais il m'a fait un peu peur. Heureusement que Nicole a ri.


  • Sens de la dérision le 20/11/2012 à 22h22
    Très bon article et un peu effrayant comme le dit C. Moa. L'absurde poussé à son paroxysme. Est-ce si loin de la réalité ?

La revue des Cahiers du football