23 Bleus et pas vraiment de polémiques
Roger Lemerre a laissé deviner sa liste des 23 sans avoir à l\'annoncer officiellement, alors que seulement huit joueurs sont à Tignes. Anelka et Karembeu escamotés, les débats tombent un peu à plat, même si l\'on peut toujours discuter certains choix…
On aurait pu croire au moment de sa prise de fonction que Roger Lemerre, homme du sérail imposé par le succès de Jacquet, resterait dans la droite ligne de son prédécesseur, notamment en matière de communication. Il y a certes un conflit entre le sélectionneur et les médias, qui a culminé au moment de l'Euro 2000 (voir le Le silence de Lemerre et le bruit des médias) et qui perdure aujourd'hui, mais le style n'a rien à voir, le Normand étant infiniment plus roué que le Stéphanois. Il évite avec une facilité confondante les polémiques qu'il veut éviter et en déclenche d'autres qu'il peut ignorer. Il contourne une nouvelle fois l'écueil de la liste, figure imposée aux sélectionneurs qui les expose aux tirs à vue, en reprenant sa stratégie du puzzle à monter soi-même déjà appliquée pour l'Euro 2000 (voir Roger trompe son monde).
Le maître des clés
La liste des 23 s'est ainsi progressivement imposée comme une évidence aux yeux de tous, les doutes disparaissant les uns après les autres. Choisissant lui-même d'ajouter plutôt que de soustraire, il a simplement dû franchir un pas plus décisif en désignant les huit pour le stage de Tignes, après avoir indiqué que ceux-ci seraient de toute façon partants. Et c'est ainsi que les sélections de Dugarry, de Djorkaeff et de Cissé, les non-sélections de Karembeu, d'Anelka, de Carrière et de Marlet sont passées comme une lettre à la poste.
Un vrai tour de magie, sans qu'à aucun moment Lemerre n'ait eu à s'en justifier explicitement. Il reste ses phrases sibyllines, qui comme celles de Nostradamus trouvent toujours un sens après-coup. Comme nous estimons pour notre part qu'il ne relève pas de ses fonctions d'expliquer ses choix en long en large et en travers et dans une langue intelligible (malentendu à l'origine du procès fait à Jacquet en 1998), nous n'avons pas d'objection (quoi que nous pensions du choix de Youri Djorkaeff par exemple). Et puis les jeux de piste, c'est amusant. Mais Vincent Duluc s'énerve déjà de cette "nouvelle manière de communiquer à une nation de football impatiente de connaître la liste des 23 joueurs sélectionnés" (L'Equipe, 05/05). Pour ce qui est de la Nation, sache qu'elle avait d'autres chats à fouetter des derniers jours, et pour ce qui est de la liste, il s'agit uniquement de la remettre à la date fixée par la FIFA. Le peuple du football attendra s'il le faut, dussiez-vous souffrir pour remplir vos pages. Attention Vincent, on t'a à l'œil vilain garnement.
Cissé grille Anelka
Par ailleurs, rien n'empêche de commenter les choix. A commencer par une option qui était peut-être la plus souhaitée par les observateurs que nous sommes tous, mais pas forcément celle que l'on aurait considérée comme la plus probable. En écartant Nicolas Anelka au profit de Djibril Cissé, Lemerre donne la prime aux performances de la saison en cours, et surtout prend à contre-pied ce que l'on croyait être l'avantage décisif accordé aux membres du "groupe". L'attaquant de Liverpool était quasiment réclamé par ses potes Henry et Trezeguet et son potentiel, quoique sous-exploité depuis des mois, restait indiscutable. Ce n'est pas ce pari qu'a fait le sélectionneur, qui renouvelle plutôt celui de 98 avec Henry et Trezeguet eux-mêmes. Tous ceux qui ont suivi le championnat de France ont été constamment émerveillés des exploits de Cissé et sa lancée semble tellement irrésistible qu'elle pourrait bien se prolonger sur les terrains du Mondial, si l'occasion se présente…
L'affaire Karembeu n'aura pas lieu
La blessure de Karembeu aux adducteurs n'était pas rédhibitoire, mais elle a offert une porte de sortie honorable au joueur, violemment contesté par les supporters et qui n'avait peut-être plus l'entière confiance de Lemerre. Son niveau de jeu n'est jamais revenu à hauteur de sa belle saison à la Sampdoria, et s'il cumule beaucoup de qualités (polyvalence, expérience, combativité, état d'esprit), il focalisait, peut-être pas sans fondement, les critiques sur les abonnés au Club France. Nous l'avions défendu en 2000 (Quel scandale?), mais sa mise à l'écart n'est pas plus scandaleuse que ne l'aurait été sa sélection. Si l'on veut croire au contraire que la blessure du Kanak, plus grave que ne l'indiquait le diagnostic initial, soit la vraie raison d'un changement de batterie au dernier moment, alors Sagnol est le miraculé de l'opération.
Toujours est-il qu'avec ces deux-là, Lemerre escamote deux sérieuses pommes de discordes, ce qui devrait lui permettre de faire passer plus facilement la pilule sur d'autre dossiers.
Des polémiques en sourdine
A l'inverse de ces démentis, la priorité accordée aux champions du monde et/ou d'Europe s'exprime avec les sélections de Boghossian, Djorkaeff ou Dugarry. La présence des deux Arméniens à la Coupe du monde 2002 valait une cote il y a deux ans, l'un étant gravement blessé l'autre en constante perte de vitesse. Le Parmesan est un pilier du groupe qui peut se prévaloir des mêmes qualités que Karembeu mais qui ne surclasse pas les autres postulants, dont certains resteront éternellement amers, à commencer par son coéquipier Lamouchi.
Nous ne nous étendrons pas sur le choix de Youri Djorkaeff, qui a juste eu besoin de montrer qu'il rejouait vaguement au football pour obtenir son visa. Nous espérions Carrière en suppléant, voire même en soutien de Zidane, et si Micoud a été choisi pour ce registre-là, nous avons bien peur que le rôle revienne au Snake, qui va encore anesthésier le jeu des Bleus et l'annexer à son projet d'amélioration de ses stats de "buts décisifs" (™).
Quant à Dugarry, il devrait échapper en Corée et au Japon aux sifflets du public, à moins qu'il ne lui réserve quelques provocations de son cru. Le dispositif de Lemerre avec deux milieux-ailiers lui donne un avantage, puisqu'il peut jouer des deux côtés tout en apportant à l'équipe son bagage technique et son impact physique. Il nous irritera avec ses travers habituels et nous gratifiera peut-être de gestes exceptionnels. C'est notre Duga quoi.
Malgré une certaine incapacité à nous convaincre de ses réels progrès, Philippe Christanval se prévaut aujourd'hui d'être quasiment titulaire dans un Barça assez terne cette saison. La "logique Cissé" n'a pas été de mise pour Philippe Mexès, auteur d'une très belle saison, mais qui, pour un tel poste, manque évidemment d'expérience. Cela en aurait été une belle pour le futur libero des bleus, mais la priorité revenait au plan de formation de Christanval (voir Christanval, programmé et protégé, mai 2000). Ce n'est pas un scandale non plus.
Les autres appelés ne suscitent pas de discussion, qu'il s'agisse évidemment des incontestables dont on ne parlera même pas ici ou même des membres introduits depuis l'Euro (Silvestre, Makelele et plus récemment Coupet auxquels s'ajoutent donc Sagnol, Christanval et Cissé). On mettra le cas Lebœuf à part, puisque malgré toute l'antipathie suscitée par le personnage (voir Le plan média de Franck Lebœuf), le joueur n'est pas si mauvais et surtout il est la seule option sérieuse à son poste (voir Lebœuf, le sursis à perpétuité).
On n'est donc pas loin d'un consensus, même si chacun aura une ou deux préférences personnelles bafouées. Il ne s'agit là que de la liste des 23, sachant que ce sont 11 joueurs qui entreront sur le terrain et que les vrais choix tactiques se feront là. Nous aurons donc toujours des os à ronger…