Guy Roux a donc fêté à la une des médias son record de longévité comme entraîneur de l'élite. Si l'on peut se réjouir de la publicité faite collatéralement à Kader Firoud, on peut regretter que comme toute commémoration, celle-ci n'ait dressé que des portraits allant de la neutralité bienveillante à la franche apologie…
|
Loin de nous l'idée idiote de minimiser les mérites sportifs de Guy Roux, la singularité de son parcours ou la force de sa personnalité. Mais le moins que l'on puisse dire est que cette dernière ne se réduit pas à la façade joviale de l'humoriste auxerrois, incarnation trompeuse du bon sens près de chez vous et de la drôlatique rouerie rurale.
L'ensemble de son œuvre n'est en effet pas celle d'un saint patron ni même d'un abbé Deschamps. Comment oublier la xénophobie récurrente de celui qui reconnaissait à peine le statut de nations aux anciennes républiques soviétiques, ou qui ranime à l'occasion de ses commentaires télévisuels de vieilles rancunes nationales? Comment occulter le comportement autocratique de l'ex-président du syndicat des entraîneurs (UNECATEF), qui omettait de convoquer l'assemblée générale et s'accrocha à son siège au CA de la Ligue bien après que son mandat ait été révoqué par ses pairs? Et que dire de sa science pour insinuer la polémique sur l'arbitrage sans avoir l'air d'y toucher, ou de ses conceptions autrefois très étroites de la liberté journalistique …
Un lobby à lui tout seul
Grand auteur d'aphorismes savoureux, Guy Roux n'a de bon sens que lorsqu'il coïncide avec ses intérêts, sans lien très solide avec l'intérêt supérieur du football français qu'il semble parfois représenter. Il n'a ainsi pas hésité à charger la DTN lors de la succession de Lemerre (
Equipe de France: la succession sans l'héritage?). Il agit en fait constamment comme un lobby à lui seul, faisant incessamment et sous ses nombreuses casquettes la promotion de ses affaires et de sa propre position. Ses annonces comico-répétitives de l'ouverture de la billetterie pour les matches à l'Abbé-Deschamps n'en sont qu'un exemple marginal, car Guy Roux est bien plus un politique redoutable qu'un simple maquignon.
Le glamour bourguignon
S'il incarne des valeurs dignes du JT traditionaliste de Jean-Pierre Pernaud et se complait dans un ringardisme affecté, sa façon d'enfiler sa panoplie (bonnet, Anorak moulant) et de jouer son personnage jusqu'à l'auto-parodie (adjudant, jardinier, entraîneur paternaliste qui engueule les joueurs dans les courants d'air et espionne leur fréquentation des discothèques) répond aussi à une large part de calcul. L'exploitation de ce folklore lui vaut notamment de lucratifs contrats publicitaires et une excellente cote à TF1. L'image de l'AJA modeste club patronal est également détrompée par la réalité, qui désigne le seul club français propriétaire de son stade, un club très bien adapté aux réalités économiques contemporaines et qui sait parfaitement exploiter les ressources de la formation à la française (à Auxerre et bien au-delà).
Double résurrection
Il y a quelques mois, Guy Roux subissait l'attaque frontale de Raymond Domenech sur l'UNECATEF et provoquait un rejet croissant auprès des pouvoirs du football. Sa préretraite l'avait moralement affaibli et avait diminué son influence, et il apparaissait au crépuscule de sa formidable carrière. Il est d'ailleurs frappant que passées certaines limites, il semblait ne plus être capable de justifier ses ambitions. Maintes fois annoncé à la tête de l'équipe de France, il n'a jamais saisi les chances qui se sont présentées (le prétexte du refus de son président fut bien mince en 1998 et cache d'autres motifs). Durant son année sabbatique, il parlait de faire un "coup exotique" pour manager un club, et on évoqua aussi l'hypothèse qu'il prit en charge une sélection en vue du Mondial. Mais jamais il ne donna suite à ces possibilités d'engagement loin de ses terres d'élection. Sa légendaire prudence entrait peut-être en résonance avec le constat qu'à Auxerre il maîtrisait tous les paramètres et qu'il était en outre totalement intégré dans le tissu des notables locaux.
Il comprit alors que pour ne pas connaître la mort sociale, il devait retrouver les pleins pouvoirs à Auxerre en même temps que le banc de touche, d'où il peut rayonner à sa façon. Sa grave alerte cardiaque et son opération ont parachevé ce retour en grâce qui culmine aujourd'hui, accompagnant un certain adoucissement du personnage.
Remarquable communicateur, l'entraîneur auxerrois a magistralement négocié ce virage critique, et la célébration de son record a confirmé son institutionnalisation ainsi que sa cote de popularité. Dans notre époque pompidolienne, une figure aussi ronde et retorse ne s'épargne pas les contradictions mais ne craint pas la critique. Ceci dit, malgré tout ce qu'il additionne de traits antipathiques, il est bien difficile de nier le caractère presque indispensable de ce personnage dans notre football, qui perdrait de ses qualités romanesques s'il devait s'en passer, de même qu'une "école" riche en très belles équipes. Mais dans le concert lénifiant des louanges qui ont accompagné sa canonisation, et dans la foulée de la Techno Parade, il fallait bien faire un peu dissonance.