González 1982, comme un papillon
Les belles histoires de la Coupe du monde – Durant le premier tour du Mundial 1982, Mágico González enchante le public par son génie, et s’ouvre les portes d’une carrière en Espagne.
La chevauchée a débuté un peu avant la ligne médiane. Jorge Alberto González Barillas porte son ballon jusqu’à l’entrée de la surface de réparation, dribblant intérieur deux joueurs mexicains comme il sait si bien le faire, et frappe au but du gauche. Le gardien repousse et Hernández reprend victorieusement. Le Salvador vient donc à bout du Mexique (1-0) lors de son second match du tournoi final de la zone Amérique du Nord, qualificatif pour le Mundial 1982.
Après une défaite initiale face au Canada (0-4), voilà le Salvador irrémédiablement lancé vers la phase finale en Espagne, notamment par la grâce de ce joueur maigre et insaisissable, González, qui va être le principal artisan de cette campagne heureuse. Dribbleur hors pair, footballeur aussi génial qu'irresponsable, il s’illustrera brillamment lors de la phase finale, et ce malgré les trois défaites du Salvador. Au point d’être ensuite recruté par un club espagnol et d’y entamer une aventure qui le conduira à être admiré de nombre de confrères. Dont un certain Diego Maradona.
Un tour de magie
Le Salvador subit le pire revers de l’histoire en Coupe du monde lors de son premier match face à la Hongrie (1-10). Et pourtant, son joyau de vingt-quatre ans régale. Il est même considéré par certains comme le meilleur joueur de la rencontre, alors que son équipe a encaissé dix buts. La Belgique (0-1) puis l’Argentine (0-2) disposeront elles aussi de la Selecta, non sans souffrir face à l’équilibre, la finesse et les coups de rein imparables de cet attaquant salvadorien rayonnant. Sa vitesse, ses crochets, ses doubles contacts, son toucher de balle soyeux ravissent le public et martyrisent ses adversaires, à la peine devant tant de talent.
Les images d’alors confirment une impression bien répandue sur ce football d’antan: très souvent, les défenseurs doivent recourir à la faute, au tacle pour empêcher l’artiste de progresser. Comme si c’était leur seul moyen. Parce que González, aussi subtil qu'imprenable, n’a pas usurpé son surnom: El Mago, le magicien. Un titre dont on l’a affublé depuis ce mois de juillet 1976 et un match avec sa première équipe, l’ANTEL, durant lequel il émerveille les tribunes sur un elastico préalable à une passe décisive. Suivront six saisons à briller avec l’Independiente Nacional et le C.D. FAS, et à porter la sélection salvadorienne jusqu’à sa deuxième participation à une Coupe du monde.
La belle de Cadix
Déjà, en préparation de ce tournoi, il avait tapé dans l’œil du Paris Saint-Germain et iaurait dû rejoindre le club francilien. Seulement, González ne conçoit pas le football “comme un travail” et les exigences d’une telle équipe l’effraient. Ce sera encore le cas lorsque l’Atlético de Madrid viendra le draguer suite à ce Mundial où il a subjugué les observateurs par son brio. Il préfère opter pour Cádiz, alors en seconde division. Là-bas, il s’épanouit, marque beaucoup de buts et participe grandement à la montée. Jorge est un homme de la nuit, un fêtard, un homme volage, un paresseux. Son mode de vie nocturne ne lui permet pas d’avoir plus de régularité, mais lui “ne joue que pour [s]’amuser”. Il choisit ses matches, maltraitant par exemple le Barça et le Real sur des gestes de classe et de pur génie.
Depuis son premier match avec Cádiz, il est devenu El Mágico, comme l’appelle la presse espagnole. Le seul magicien que reconnaît Diego Maradona: “Quand on voyait les crochets qu'il mettait aux Espagnols, on se disait vraiment qu'il était unique. On voulait l'imiter. Alors on tentait les mêmes dribbles et on se cassait tous la gueule.” El Pibe de Oro tentera même de faire venir González au Barça. Mais cela ne se fera pas: invité avec le groupe blaugrana pour une tournée amicale aux USA en 1983, l’incorrigible Jorge trouvera le moyen de rater d’abord le départ d’Espagne, puis d’être renvoyé. Les deux fois parce qu’il était occupé avec une jeune femme.
González le reconnaît lui-même: il a peut-être “manqué l’opportunité de sa vie”, celle de devenir un plus grand footballeur. Comme le dit Nicolas Cougot de Lucarne Opposée: “L’histoire de Jorge González est celle d’un génie qui n’a jamais voulu compromettre son amour du football et de la vie aux exigences du monde professionnel.” Par cet amour et par son talent, il aura tout de même envoûté un pays, et la planète entière l’espace de quelques matches de Coupe du monde. C’est déjà exceptionnel.