La Ligue des champions, un squat de riches
Bouteille - Organisée pour profiter à une élite autoproclamée, la C1 est devenue une chasse bien gardée. Où l'on voit aussi que l'OL arrive au troisième rang des gains pour l'édition 2005/2006... Extrait du numéro 29 des Cahiers du football d'octobre dernier.
Auteur : Frodon Ebly-Tricé et Pierre Martini
le 26 Dec 2006
Plus de 30 millions d'euros. C’est la différence de gains, lors de la Ligue des champions 2005-2006, entre le Sparta Prague et l’équipe ayant le plus engrangé durant sa campagne. Bizarrement, il ne s’agit pas du vainqueur de l’épreuve, le FC Barcelone, mais de son adversaire en finale, Arsenal. Les Gunners ont en effet bénéficié du système particulier de division des ressources issus de l’achat des droits de diffusion de l’épreuve.
Le paradoxe est là: alors que les pays membres de l'UEFA sont beaucoup plus nombreux qu'il y a vingt ans, l'élite européenne a été considérablement réduite, au plus grand profit de ses membres. Car parallèlement, l'explosion des droits de télévision s'est accompagnée d'une répartition de plus en plus inégalitaire des énormes sommes désormais collectées, donnant la meilleure part du gâteau aux clubs issus des pays représentant les plus gros marchés de consommateurs.
Qui touche quoi ?
Le partage des ressources de la C1 se divise en trois partie: une part fixe, une part au mérite, et une part variable. Ce modèle de distribution, relativement pertinent lorsqu’on l’étudie en détail, présente toutefois quelques effets structurels négatifs.
L’UEFA a vendu les droits de diffusion de la ligue des Champions 2005-2006 pour 610 millions d'euros. Si l’instance suisse s’est gardé 144 millions pour ses frais de fonctionnement, elle a reversé 5% de la somme aux ligues européennes au titre de la solidarité et s'est constitué un petit trésor de guerre de 18,5 millions, pour au final distribuer 433 millions aux clubs participants.
Tous les clubs ont bénéficié d’une part fixe de 3,9 millions d'euros, et d'un "bonus de performance" qui met la victoire à près de 2 millions d'euros – la moitié pour un match nul. Une participation aux huitièmes de finale rapporte 1,6, aux quarts 1,93, aux demis 2,6. Le finaliste a touché 3,8, le vainqueur 6,4.
Qui es-tu « market pool » ?
Les 320 premiers millions ainsi dépensé, l’UEFA a élaboré une part variable selon l’investissement national de chaque diffuseur, le "market pool" (voir graphique ci-dessous). Sur la somme globale versée par les chaînes de télévision de chaque pays, chaque club de ce pays touche une somme: 50 % en fonction de son classement de la saison précédente dans son championnat, 50% selon le nombre de matches joués en C1 durant la saison. Le montant global se partage entre tous les qualifiés du pays. Le marché anglais des droits TV étant plus juteux que le marché espagnol, Arsenal a ainsi touché plus d’argent que Barcelone. Un effet structurel économique négatif apparaît à ce stade. Même s’il touche l’intégralité du market pool de la Slovaquie, l’Artmedia Brastislava n’a engrangé que 127 000 euros, au contraire du Betis, quatrième club espagnol, bénéficiant d’une juteuse redistribution à hauteur de 5,5 millions... On ne prête qu’aux riches.
Un avenir radieux
Le système organise ainsi les inégalités, qui séparent non seulement les clubs disputant la Ligue des champions de ceux qui n'ont pas ce privilège, mais aussi, entre eux, ces mêmes participants. D'une saison à l'autre, le Top 16 européen consolide ses positions et se donne rendez-vous à partir des huitièmes de finale, ne laissant échapper que quelques wild cards.
La suprématie de la Ligue des champions peut-elle diminuer dans les années à venir? Il est permis d'en douter: l'UEFA vient d'annoncer le contenu de son "cycle marketing" pour les trois prochaines années: la dotation globale passe de 610 à 750 millions d'euros, notamment grâce à la générosité des sponsors – réduits à six, mais qui payent plus cher. La compétition sera diffusée par 90 opérateurs dans 230 pays et elle semble au zénith de son prestige auprès des clubs et des joueurs. Le directeur exécutif de l'UEFA, Lars-Christian Olsson, a eu beau jeu de saluer, à cette occasion, l'arrivée du Levski Sofia parmi les 32 équipes qualifiées: plus que jamais, son épreuve sera conçue comme une pyramide au sommet de laquelle on devra retrouver les mêmes clubs.
L'OL sur le podium !
L'OL troisième d'une compétition dont il n'arrive pas à passer les quarts de finales ? C'est bel et bien le cas sur le plan des sommes distribuées par l'UEFA aux participants de la C1. En orange sur le graphique, la part "Market Pool", déterminée en fonction des droits TV acquittés par chaque pays, montre bien les distorsions qu'elle provoque sur les gains, à mérite sportif comparable.
C'est ainsi que, bénéficiant du poids des droits télé de son marché domestique, l'OL a empoché un montant supérieur au Milan AC, qui l'avait pourtant éliminé – soit près de 16 millions de plus que le Benfica, auteur d'un parcours similaire aux Lyonnais. Chelsea fait encore plus fort, en talonnant le club de Jean-Michel Aulas à la quatrième place, en dépit d'une défaite en huitièmes, par la grâce d'un marché anglais pesant plus lourd que ses homologues italiens ou espagnols.
Le LOSC, bien que sorti en poule, a obtenu plus de revenus que l'Inter qui a atteint les quarts. Bien sûr, il ne faut pas occulter les autres revenus que la C1 permet de générer, à commencer par les recettes de billetterie, mais la fable selon laquelle les clubs français souffriraient de terribles handicaps économiques en prend un coup...
L'Europe à trois vitesses
Le système pénalise en effet les équipes issues de championnats "moyens", comme le Portugal, la Belgique, la Turquie, la Suisse, l'Autriche ou les Pays-Bas. Moyens sur le plan économique, puisqu'on ne voit pas au nom de quoi Porto ou l'Ajax pourraient être considérés comme sportivement inférieurs à leurs concurrents. Cette Europe à deux vitesses en comporte d'ailleurs une troisième: le levier du market pool relègue les compétiteurs tchèques et slovaques au rang d'intrus qui ne toucheront que des aumônes.