Lazio, Calcio et racisme
Sinistre Sinisa
Au terme d'un match où les joueurs noirs d'Arsenal ont été salués comme à l'habitude par des cris de singe (ou plutôt, par le cri des singes), le milieu français s'était plaint d'insultes racistes de la part du joueur serbe de la Lazio qui aurait commencé ses provocations avant même l'entrée sur le terrain. "En Angleterre, je me fais chambrer parce que je suis Français, mais là, il s'agissait de la couleur de ma peau. Mais que faire? Un président de club en Italie (Sergio Cragnotti, justement celui de la Lazio! NDLR) a menacé d'interdire l'accès du stade aux fans qui tiennent des propos racistes, ce qui est une excellente initiative. Mais quand il s'agit d'un joueur, c'est plus dur.(...) D'autres joueurs de la Lazio se sont excusés du comportement de Mihajlovic, disant qu'ils le connaissaient bien et qu'ils savaient qu'il était bête."
Mihajlovic avait déjà été au cœur d'une polémique lors de la saison dernière, après être allé saluer une banderole rendant hommage à Arkan, milicien serbe coupable d'à peu près tous les crimes contre l'humanité, président du club (champion évidemment) d'Obilic, et qui venait juste d'être assassiné. Sa complicité avec la frange extrémiste des supporters romains était apparue au grand jour et ses explications avaient semblé aussi vaseuses que celles qu'il fournit aujourd'hui. Il reconnaît avoir tenu ces propos, mais accuse Vieira d'en avoir fait de même sur son identité de "gitan". Mais au fond, il trouverait tout ça très normal.
L'Italie vers une prise de conscience?
Les joueurs qui se sont exprimés, comme Totti, n'ont pas cherché d'excuses, mais au contraire insisté sur la gravité du phénomène et la responsabilité des footballeurs eux-mêmes. Thuram et Mboma ont été sollicités à nouveau pour s'exprimer sur le sujet et Paulo Di Canio, depuis Westham, a reconnu les problèmes du Calcio sur ce plan. Lors des confrontations avec les clubs d'autres pays européens, le football italien réalise peut-être mieux son décalage, en constatant les vives réactions provoquées.
Les ambiguïtés de la société italienne envers les problèmes de racisme apparaissent en effet à l'occasion de ce débat public, et notamment dans l'attitude des dirigeants. Sergio Cragnotti a stigmatisé "l'infime minorité" d'irresponsables (trop bruyante pour être aussi infime), mais minimisé les faits et ordonné un silence radio total, accusant la presse de mener une campagne de diffamation contre son entreprise. Il en appelle même dans le communiqué officiel à l'intérêt supérieur des actionnaires pour motiver sa démarche.
Dino Zoff, nettement plus fâcheux, a eu un commentaire qui souligne à lui seul le retard italien en matière de lutte contre le racisme: "Il n'y a rien de diffamant à dire à quelqu'un qu'il est noir. C'est juste de l'identification comme on peut le faire avec un blond ou un brun."
Les médias italiens ont relancé le débat, en se demandant si le terrain devait être une sorte de zone franche où l'insulte raciste serait autorisée. Au début de cette année, les incidents s'étaient multipliés dans l'enceinte romaine (notamment lors des venues de Ngotty avec Venise et Thuram, Lassissi et Dabo avec Parme), et les amendes s'étaient abattues sur la Lazio, tandis que le débat faisait rage (à cette époque, Zoff, qui était sélectionneur national, avait tenu des propos presque identiques à ceux cités plus haut). Le gouvernement avait menacé de suspendre purement et simplement les matches en cas de bannières indésirables, provoquant un petit séisme mais arrachant l'adhésion de la Federcalcio. Depuis, les croix celtiques ou gammées, les portraits de Mussolini et les banderoles antisémites ont disparu du stade olympique de Rome. Mais la pollution sonore est évidemment plus difficile à réprimer... Et si le comportement des joueurs eux-mêmes est en question, le mal sera d'autant plus difficile à éradiquer...
Les mentalités ont manifestement besoin d'évoluer pour "débanaliser" ce racisme ordinaire et responsabiliser les acteurs. C'est de façon très sensible le cas en Italie, mais aussi dans toute l'Europe. A l'occasion de cette "affaire", un groupe de travail du ministère de l'intérieur britannique (chargé de lutte contre la discrimination dans le football) a d'ailleurs sommé l'UEFA d'aborder de front ces problèmes et d'initier des politiques déterminées. Les instances comme les dirigeants (qui aimeraient rejeter les responsabilités sur la société dans son ensemble) doivent cesser leur stratégie de l'autruche, affirmer clairement quels comportements sont hors-la-loi autour et sur les pelouses et mettre en place avec détermination des programmes de lutte contre les discriminations et la propagande d'extrême-droite.
La Lazio connaît décidément une semaine noire... Au lendemain de ce match à scandale, le parquet de Rome a annoncé qu'il enverrait devant un tribunal Juan Sebastian Veron et Sergio Cragnotti, dans l'affaire de la naturalisation suspecte du joueur argentin... Les ennuis continuent, et un conseil d'administration extraordinaire va se tenir très prochainement.
La "SS Lazio", avec son aigle impérial comme emblème, son stade construit sous Mussolini, ses supporters nazifiants et ses joueurs controversés cristallise sur son image les dérives xénophobes présente dans le football. Surtout que le club romain symbolise aussi la nouvelle économie du football, avec son président gestionnaire, son action en bourse et ses millions sur le marché des transferts...