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« Les clubs ne peuvent pas se contenter d'exiger de la passion, ils doivent aussi en rendre »

Entretien - Comment attrape-t-on l'amour du football, pourquoi est-il de plus en plus contrarié ? Ludovic Lestrelin, sociologue, explore le cœur des supporters. 

Auteur : Jérôme Latta le 10 Jan 2023

 

Enseignant-chercheur à l'université de Caen, Ludovic Lestrelin était déjà l'auteur de L'autre public des matchs de football. Sociologie des supporters à distance de l'Olympique de Marseille (éd. EHESS, 2010), à propos duquel nous l'avions interrogé, à l'époque.

Il vient de publier Sociologie des supporters dans la collection "Repères" de La Découverte, un remarquable travail de synthèse et de pédagogie qui parvient à rendre compte de la diversité des supporters... et des approches sociologiques qui appréhendent le phénomène.

À cette occasion, nous mettons en ligne l'entretien qu'il nous a accordé dans le dossier "Amour" du numéro 6 de la revue des Cahiers du football (juin 2021).

 

Illustration SLip
Illustration SLip

 

Est-ce que le goût pour le football se transmet encore au sein de la famille ? On a en tête le cliché du père qui emmène son enfant au stade...

Il n'y a pas pléthore d'études sociologiques récentes sur le sujet, mais on peut penser que ce modèle de transmission reste important, sous la forme d'un " projet familial " porté par le père ou une figure masculine. Mais il y a aussi la socialisation par les pairs, par les amis. À l'inverse de ce modèle de transmission verticale, des parents vers les enfants, existe aussi une transmission ascendante quand de jeunes garçons ou filles entraînent leurs parents dans cette passion. Les transformations de la façon dont se construit l'attachement à une équipe ont été très significatives ces dernières décennies, en grande partie en raison de la visibilité médiatique croissante du football professionnel. Cette exposition télévisuelle a changé la donne depuis l'époque où l'on se rendait au stade de l'équipe la plus proche de chez soi, où l'on découvrait le football au travers des magazines. On peut plus facilement se porter vers des équipes différentes, faire des choix qui s'opposent à ceux du père ou du grand-père.

Cette exposition a-t-elle aussi favorisé le passage d'un public essentiellement populaire à un public socialement plus favorisé ?

Ce n'est probablement pas aussi simple. En Angleterre, le football est un sport que la classe ouvrière s'est massivement approprié ; en France, la composition des publics des stades a toujours été assez diversifiée, avec un gros noyau de petites classes moyennes, mais également avec des spectateurs venus d'horizons sociaux divers. On ne peut pas diagnostiquer si facilement un embourgeoisement du public, parce que, là encore, les données fiables sur sa composition sociologique sont peu nombreuses, et parce que la proportion d'employés et d'ouvriers reste importante - même si ces derniers tendent à être moins nombreux depuis les années 1980-1990. Des enquêtes assez récentes indiquent cependant la part croissante des cadres et des professions intellectuelles supérieures et professions libérales. On observe qu'il s'agit surtout de personnes en phase de mobilité sociale ascendante, souvent la première génération de cadres au sein de leur famille. Pour ceux-ci, le goût du football s'étant souvent constitué quand ils étaient jeunes, aller au stade exprime une forme de fidélité à leurs origines sociales. Mais l'arrivée massive d'un nouveau public reste à démontrer...

"Au sein des supporters plus traditionnels, un discours de plus en plus critique est monté en puissance, qui tient de l'amour contrarié."

 

Peut-on néanmoins parler d'une importante diversification sociale du public ?

Sans doute. Les clubs, dans les stades rénovés, ont l'objectif stratégique prioritaire d'augmenter la jauge des "sièges à prestations". Dans ces espaces privatifs - loges, business seats, etc. - s'établit une sociabilité élitaire. Les clubs s'inscrivent dans une démarche explicite de conquête de nouveaux publics, au risque de négliger le public plus traditionnel des spectateurs qui aiment le football depuis longtemps, qui l'ont pratiqué. Il faut justement souligner que la pratique et la conception du spectacle sont très interdépendantes. L'expérience d'une pratique du football produit un rapport à ce sport et au club assez fondamentalement différent, plus intime. Les dirigeants ciblent nécessairement des personnes qui n'ont pas pratiqué et ne disposent pas de cette connaissance intime et ancienne du jeu - c'est valable aussi pour le rugby.

Cette évolution favorise-t-elle des formes de consommation moins passionnelles, plus distantes ?

On l'a constaté en Angleterre. Un spectacle plus nettement conçu à l'intention des catégories fortement dotées en capital économique et culturel, des classes moyennes et moyennes supérieures au détriment des classes populaires, s'accompagne d'un rapport au football plus volatil. Le sociologue britannique Richard Giulianotti a parlé de "flâneurs", surtout motivés par une expérience de consommation divertissante, qui seront aussi de bons consommateurs de produits dérivés. Inversement, au sein des supporters plus traditionnels, un discours de plus en plus critique est monté en puissance, qui tient de l'amour contrarié. Ceux-là ont le sentiment de ne pas avoir été très bien traités au cours des dernières décennies. Le fait est que les transformations du football ont été d'une rare intensité, voire d'une certaine brutalité depuis les années 80 ou 90. Si on mobilise le registre amoureux, l'amour est censé être un lien fondamentalement réciproque, qui implique une forme de reconnaissance. Les clubs ne peuvent pas se contenter d'exiger de la passion de la part des supporters, ils doivent aussi en rendre. C'est du don / contre-don. Or les marques d'affection et d'amour des clubs à l'égard des supporters ne sont pas toujours très visibles.

Parce que les clubs peinent à épouser le point de vue des supporters ?

Ceux-ci sont souvent considérés soit comme des clients, soit comme une population à problèmes, du côté des groupes organisés. Les dirigeants de clubs sont face à un dilemme. Ils conçoivent leur entreprise comme une marque, une société commerciale, et le public comme une clientèle. Mais à l'intérieur de ces entreprises se trouve un club - c'est-à-dire une organisation comprenant des parties prenantes multiples, dont les supporters. Il faut faire vivre cette composante-là, et j'ai le sentiment que, en France du moins, tous les clubs ne l'ont pas compris. Il y a une tension structurelle entre d'une part l'obligation de s'adapter aux conditions changeantes de la compétition économique et sportive, d'autre part les aspirations d'un public qui entretient un rapport particulier au passé, qui s'est attaché à son équipe dans un temps plus ancien, et qui s'inscrit donc dans une perspective temporelle plus longue.

"Le discours du 'coup de foudre' souligne l'importance des émotions, mais il cache que cet attachement est le résultat d'un parcours."

 

Est-ce que ces tiraillements s'expriment aussi par des tensions accrues entre les différentes catégories de supporters ?

Un stade réunit des publics et non un public, il implique des conflits d'usage. Les débats sont permanents sur la qualité du soutien, sur la fidélité, l'acceptation de la souffrance. Le divorce peut être compris, l'adultère beaucoup moins - si quelqu'un se met à soutenir une autre équipe. Les conflits se cristallisent autour de la façon dont le match est vécu. L'usage du téléphone portable, encouragé par les stades connectés et les services proposés par les clubs, fait horreur aux ultras, par exemple. Ceux-ci valorisent le fait d'être pleinement et intensément présent, investi dans le match de manière collective - à l'inverse d'un vécu individualisé.

En somme, les publics d'un club ont le même maillot, mais pas tout à fait la même passion ?

L'attachement s'est individualisé avec le basculement dans l'industrie du divertissement, qui implique des logiques nouvelles et présente pour les clubs des avantages, mais aussi un certain nombre de risques. S'ils ne sont pas vigilants quant à la considération, au respect qu'ils accordent à leurs publics, la sanction sera sévère. Un supporter considéré comme un consommateur agit comme un consommateur : il cesse d'acheter, de venir au stade, voire change de club. Les clubs se sont placés dans une situation extrêmement complexe qui les oblige à gérer des publics très divers, dispersés voire antagonistes. Il faut avoir les moyens d'assumer cette gestion.

Les tensions entre le noyau des supporters les plus fervents et les dirigeants des clubs atteignent un niveau de violence élevé...

C'est frappant à Marseille, à Nantes ou à Bordeaux... Une part des critiques touche à la méconnaissance même du football chez les dirigeants. Le langage de l'amour, de la passion voire du sexe est très présent dans le discours des supporters. Il y a chez eux une quête permanente des origines : leur démarche est très réflexive quand ils racontent comment est née leur passion, comment ils sont tombés amoureux, quand ils se remémorent des souvenirs d'enfance, etc. Ce discours du "coup de foudre" souligne l'importance des émotions, de l'affect, il évite de trop intellectualiser, mais il cache que cet attachement est en réalité le résultat d'un parcours, qu'il s'est construit progressivement. Et ce lien implique une connaissance du football et du club, mobilise des savoirs. Le procès des dirigeants porte beaucoup sur leur ignorance de ces aspects.

"La multi-appartenance, qui va à l'encontre de l'idée d'amour exclusif, s'est fortement développée depuis une trentaine d'années."

 

Le divorce entre les uns et les autres s'accentue ?

La critique est d'autant plus vive qu'une partie du public du football ressent une forme de désamour. Selon les modèles d'analyse de la sociologie économique classique, comme celui d'Albert Hirschman, quand il y a du mécontentement, trois voies sont possibles : exit, loyalty, voice. Aujourd'hui, à plus forte raison avec la crise sanitaire, il y a probablement beaucoup de "départs". D'autres supporters restent prisonniers de leur "loyauté", de ce lien affectif très fort, et continuent de supporter. Supporter, c'est aussi, endurer, souffrir ! Enfin, ils peuvent utiliser leur "voix", s'exprimer de manière critique - bien au-delà des groupes ultras.

La médiatisation de plus en plus internationale du football a favorisé les appartenances multiples, c'est-à-dire le choix d'un "second club", souvent à l'étranger ?

Cette multi-appartenance ou ce multi-intérêt, qui va à l'encontre de l'idée d'amour exclusif valorisée dans le monde des supporters, s'est fortement développée depuis une trentaine d'années. Le choix d'un second club évoluant à l'étranger, ou à un autre niveau sportif permet d'éviter des contradictions trop fortes. Les supporters n'échappent pas à la tension entre la conformité, avec l'adhésion à un collectif, et la différenciation, avec le désir de se singulariser. Une manière d'y parvenir peut consister à développer des connaissances et un lien avec, par exemple, Boca Juniors ou River Plate, dont les rencontres sont devenues beaucoup plus accessibles.

Les clubs restent-ils les principales forces d'attraction des passionnés, ou sont-ils de plus en plus concurrencés par les joueurs ?

Une frange au sein du public se focalise de plus en plus sur les vedettes et les footballeurs eux-mêmes. Le phénomène n'est pas fondamentalement nouveau, parce qu'à toutes les époques, beaucoup ont contracté la passion du football au travers d'un joueur. En faisant un rapprochement avec le monde de la musique, on pourrait qualifier ce supporter de fan ou de groupie. Les clubs utilisent ce levier-là dans leurs stratégies très offensives de conquête de nouveaux publics. Le challenge, pour eux, est de transformer la nature de cet attachement afin de construire un lien avec le club lui-même. 

 

Réactions

  • Mangeur Vasqué le 11/01/2023 à 22h58
    Merci pour cette passionnante interview qui m'a poussé à l’instant à commander "Sociologie des supporters". Hâte de le recevoir.

La revue des Cahiers du football