Les Girondins marinent
Les Bordelais viennent de réaliser leur pire saison dans l'élite depuis 25 ans. Comment expliquer la dérive d'un club encore champion de France en 1999?
Auteur : Frédéric Sanz (avec Nico Paul)
le 30 Mai 2005
Après avoir squatté les six premières places entre 1997 et 2003, les Girondins de Bordeaux sont en train de terminer leur deuxième saison consécutive dans la seconde partie du classement. Ils ont ainsi achevé le dernier exercice à une peu glorieuse quinzième place, avec deux points d'avance sur le premier relégable et seulement huit rencontres gagnées. Pis, si l'on ne tenait compte que des matches retour, ils occuperaient la dernière place de la L1 avec un maigre total de dix-sept points pris sur cinquante-sept possibles depuis début janvier... Cette saison aura, quoi qu'il arrive, été ratée. Comment expliquer ce progressif déclin? Panorama des petites et grandes responsabilités des principaux acteurs de ce naufrage collectif... M6 : gros sous, petits résultats Il serait aisé de faire coïncider la prise en main du club par M6, en juin 1999, avec la déliquescence sportive du club. Pourtant, contrairement à une idée reçue sur les bords de la Garonne, M6 a investi des sommes conséquentes dans le club depuis son arrivée. Ces fonds ont en partie servi à favoriser la politique de formation du club en construisant un centre d'entraînement et de formation ultramoderne du coté du Haillan. Mais il a aussi permis de bâtir des effectifs de qualité au fil des ans: le duo Bonnissel-Ziani recruté pour 120 millions de francs dès l'été 99, Pauleta (60 millions), Sommeil, Meriem et Darcheville (50 millions chacun), Dugarry et Legwinski (40 millions), mais également Smertin ou Costa ont ainsi évolué à Lescure grâce aux investissements de l'entreprise dirigée par Nicolas de Tavernost. Ce n'est qu'à partir de l'hiver 2003 que M6 a entériné une nouvelle stratégie financière marquée du sceau d'une parfaite austérité. Les raisons de ce soudain retournement? Les échecs successifs du club dans sa quête d'une qualification à la très lucrative Ligue des champions, couplée à une politique de recrutement onéreuse, qui ont plombé les comptes. De fait, la chaîne, l'une des plus rentables au ratio coûts de fonctionnement/rentrées publicitaires, n'a pas vocation à investir à fonds perdus dans un club de football. Et depuis deux ans maintenant, les vannes ont été coupées. Bordeaux se voit ainsi contraint de recruter des seconds couteaux de la L1 ou de parier sur de jeunes joueurs étrangers inconnus. Avec les résultats que l'on connaît... Y a t-il un pilote dans l'avion ? Malgré ces investissements de poids, la chaîne n'est pas exempte de tous reproches. Sa grosse erreur stratégique tient principalement dans sa présence intermittente au Château du Haillan. À l'instar de l'Olympique de Marseille ou du FC Nantes, et à l'inverse de l'Olympique Lyonnais par exemple, les Girondins de Bordeaux sont dirigés par un représentant nommé et non par le véritable propriétaire ou l'un de ses collaborateurs proches. La chaîne a toujours préféré faire confiance à un homme du terroir, Jean-Louis Triaud, et ne pas s'investir directement dans la gestion quotidienne du club (malgré la parenthèse Dominique Imbault, ancien patron d'agence de publicité, reparti quelques semaines après avoir posé ses valises en Gironde). Le vigneron est aux commandes du navire sans que son véritable rôle saute aux yeux des observateurs les plus aguerris: véritable patron du club avec les mains libres et de véritables ambitions pour le club, ou simple marionnette à la solde du directoire de M6, ne cherchant qu'à conserver sa place? Quoi qu'il en soit, l'homme est critiqué. Et peine à reconnaître ses erreurs dans le management du club. Régulièrement, il explique ainsi le recul des Girondins comme la résultante d'une phase cyclique logique. Et n'hésite pas à rejeter la responsabilité des mauvais résultats des Marine et Blanc lors des derniers mois sur le seul Elie Baup (entraîneur de 97 à novembre 2003) en lui reprochant de n'avoir pas conduit l'équipe à la C1 ou d'avoir mis à mal l'équilibre financier du club par des "investissements" à perte (le fameux transfert de Christian, acheté 80 millions de francs au PSG en 2001, revendu une misère à un club brésilien l'année suivante). Pourtant, Triaud n'en reste pas moins président, et donc responsable de ce qui se fait sous son toit. Ambitions au rabais... Autre grief : l'homme n'est pas un grand communicant. À Bordeaux, la définition d'un objectif clair auprès de l'ensemble des composantes du club (encadrement technique, joueurs, mais également supporters et entourage médiatique) n'a jamais clairement été effectuée. Il 'agissait d'être européen, sans qu'il ne soit précisé s'il fallait viser la Ligue des champions ou plus modestement l'UEFA. Depuis le départ de Baup, les choses sont plus nettes: Bordeaux est désormais présenté comme un club dédié à la formation, sans objectif sportif précis... Jean-Louis Triaud évoque depuis deux ans la fameuse "saison de transition" chère au PSG ou à l'OM, et obtient d'ailleurs les mêmes résultats que les deux "grands clubs" au pire de leur forme. D'ailleurs, une transition vers quoi? Bien évidemment, communiquer un objectif aux medias et aux supporters n'a jamais constitué une assurance de le réaliser. Guy Roux, qui clame depuis bientôt trente ans que l'unique objectif de l'AJA est de se maintenir en première division alors que le club finit régulièrement dans le premier quart de la compétition, pourrait aisément en témoigner. Il n'empêche, il se dégage comme une sorte de flou artistique autour des ambitions du club. Ce qui n'est pas de nature à fédérer l'ensemble des énergies dans une ambiance transparente et à attirer de nouveaux joueurs, toujours prompts à se déclarer séduits par le discours clair de leur futur employeur au moment de négocier un transfert. Comme, en parallèle, Bordeaux ne semble pas disposer de fonds suffisants pour jouer les caïds sur le marché, il devient de plus en plus difficile aux dirigeants girondins de former une grosse équipe. Dans ce contexte, Jean-Louis Triaud apparaît au mieux que comme un bon père de famille autoritaire et taiseux, faisant des placements à la petite semaine, mais incapable d'impulser un véritable élan partagé par tous au sein de "son clan". Entraîneurs rigides Dans ce concert d'approximations et de choix de gestion hasardeux, il n'est toutefois pas possible d'épargner les techniciens qui se sont succédés à la tête de l'équipe depuis une petite dizaine d'années. Elie Baup d'abord, qui a officié au Haillan de début 98 à novembre 2003. À la décharge du coach à la casquette, il faut reconnaître qu'il n'a pas toujours disposé d'un effectif assez étoffé pour assurer une place dans les trois premiers en fin de saison. Il a également dû pâtir des "trouvailles" on ne peut plus hasardeuses de Charles Camporro, le directeur sportif du club, toujours prompt à dénicher des imposteurs en Amérique du Sud... Il n'empêche, Baup a également sa part de responsabilité dans des recrutements ratés, le meilleur exemple étant constitué par l'achat onéreux de Christian en 2001 pour un retour sur investissement quasi nul. De plus, il s'est enferré dans le fameux 4-4-2 avec milieux offensifs excentrés ayant conduit ses hommes au titre en 99. Il s'est enfin montré incapable de gérer un groupe alliant véritablement quantité et qualité la seule saison, en 2002-2003, où son équipe était suffisamment armée pour lutter dans le haut du classement. Cette saison-là, l'osmose n'est apparue qu'après la trêve et les départs de Sommeil, Dugarry et Bonnissel vers d'autres cieux. Sous son "mandat", le club s'est toutefois qualifié à chaque fois pour la Coupe d'Europe mais une unique fois, donc, en Ligue des Champions. Des parcours européens d'ailleurs sans grand intérêt, seule l'année 99 ayant répondu aux attentes avec un quart de finale contre Parme et son match retour mémorable. Pour toutes ces raisons, Baup apparaissait en fin de cycle aux Girondins et son éviction est apparue comme relativement inéluctable, même si la forme qu'elle a pris avait quelque chose d'inacceptable après tant d'années de bons et loyaux services rendus par l'homme à la casquette. Quid de Michel Pavon, qui a pris les commandes de l'équipe à l'automne 2003? Si ses premiers matches ont pu montrer un semblant de renouveau, notamment par l'intégration régulière de jeunes joueurs talentueux — une pratique dont son prédécesseur n'était pas un grand adepte — , il a toutefois rapidement fait preuve de ses limites tactiques. Disposant d'un groupe d'une honnête qualité au début de la présente saison, l'ex-capitaine Marine et Blanc n'a pas su trouver la formule permettant à son groupe de passer du statut d'équipe proposant un jeu agréable à celui de formation réaliste. Cette dernière s'est même métamorphosée à la trêve en troupe besogneuse, éteignant les belles promesses entrevues dans la circulation du ballon, pour faire de cette cuvée 2005 un Bordeaux sans saveur. Et une équipe sans répondant. Là est peut-être le principal reproche qu'il est possible de formuler à l'égard de Pavon: car c'est justement pour ses capacités à galvaniser les troupes qu'il avait été recruté, plus que pour son aptitude à révolutionner le système de jeu des Girondins... Des perspectives incertaines Pour l'heure, les Girondins semblent durablement installés dans le ventre mou de la L1. À moins que... À moins que les dirigeants bordelais finissent par considérer ces deux saisons ratées comme la résultante d'une politique ratée. Ou qu'ils mettent en oeuvre un discours véritablement ambitieux , tant au niveau de la direction humaine que financière, et que ce discours soit véritablement suivi de faits. Mais est-ce là l'ambition de M6, qui prouve chaque jour un peu plus, malgré les dires de sa direction, sa volonté de se retirer d'un jeu qui ne semble plus du tout l'amuser (si tant est que ce fut le cas un jour). Mais la chaîne est toujours propriétaire du club. Et il semble clair que M6, tout comme Triaud et Pavon, ne peuvent souffrir une troisième saison consécutive dans les bas-fonds du classement. Les Girondins de Bordeaux sont probablement à un tournant de leur histoire. Gageons qu'ils le négocient au mieux, et qu'ils évitent de partir dans le décor, à l'instar des anciennes gloires du football hexagonal qui ne gagent plus rien depuis des lustres. Pour éviter que la "petite chaîne qui monte" ne soit aussi celle d'un "grand club qui descend".