SdF : un stade de retard
Dix ans après, rien n'a changé: le Stade de France est un beau monument, mais un bien mauvais stade de football.
Le 28 janvier, le Stade de France a célébré le dixième anniversaire du premier match organisé en son enceinte: le France-Espagne de 1998 – 1-0, but de Zidane par une température polaire (1). L'événement a été fêté sur place devant un millier de VIP et ailleurs par une série d'articles globalement bienveillants pour l'édifice. Pouvait-il en être autrement? Le Stade de France a été sanctifié par la victoire du 12 juillet 1998, et aucune polémique antérieure ou postérieure n'est vraiment venue altérer son image – qui en fait un tel lieu de pèlerinage qu'il parvient à faire jouer un match de Coupe de la Ligue à guichets presque fermés (la finale).
Chapiteau de cirque
Des polémiques, il y en eut, pourtant. Le contrat signé entre l'État et le consortium, a permis à ce dernier de toucher 80 millions d'euros publics au titre de dédommagement pour l'absence de club résident (lire "Une histoire chaotique, un présent polémique"). Le contrat entre le consortium et la FFF a induit un énorme manque à gagner pour celle-ci sur la billetterie, tout en l'obligeant à faire jouer les Bleus à Saint-Denis plus souvent qu'à leur tour (2). Sans que les exploitants ne parviennent à leur offrir une pelouse digne de ce nom.
Mais tout le monde en conviendra: il est beau. Avec sa silhouette singulière, grâce à son toit en anneau et la pente de ses escaliers extérieurs, il serait même superbe s'il n'était outrageusement bariolé. Par ailleurs, il est à peu près rentable. Pas tant grâce au football qu'en vertu de son statut de salle de spectacle à ciel ouvert. C'est un peu le problème: le SdF se prête mieux à l'organisation d'un "opéra mis en scène par des exploitants de cirque ou d'une course de tracteurs sur glace" (selon les mots de Jean-Patrick Sacdefiel dans sa chronique "OL Groland" des CdF #40) qu'à la tenue d'un match de football. Du moins du point de vue des spectateurs.
Erreur de génération
À l'heure où l'on discute du "retard français" en matière de stades – retard en partie dû à une concentration des investissements du Mondial 1998 dans la construction du "Grand stade" parisien –, celui-ci a totalement raté la marche. Même si ses tribunes basses sont partiellement amovibles, il n'en demeure pas moins... un stade d'athlétisme, affligé d'une distance excessive entre la pelouse et les tribunes, dont la pente trop douce aggrave l'effet. Où que l'on soit, on est assuré d'être mal placé, y compris au centre des latérales. Heureusement que le stade est joli, cela laisse des choses à regarder.
En 1995, cet édifice très balladurien avait battu en finale, un peu à la surprise générale (3), le projet de Jean Nouvel qui, lui, était clairement précurseur des modèles actuels: toit et tribunes amovibles, modularité maximale avec la possibilité de fermer une salle autour d'un demi-terrain et de recevoir des matches de tennis, de handball ou de basket, etc. Rectangulaire, fermé sur lui-même, sombre, le stade de Nouvel ne donnait pas dans la rondeur des lauréats Macary, Zublena, Regembal et Constantini. Mais il aurait lancé la lignée des "Arenas" au lieu de prolonger celle de nombreux stades italiens du Mondiale 90 (4).
Inadapté pour un club résident
Maintenant qu'il est dépouillé de la perspective des JO 2012, quel projet peut-on faire pour le Stade de France, à part le regarder vieillir? Dans son éditorial de L'Équipe Magazine du 12 janvier, Jean-Philippe Leclaire fustige le Paris Saint-Germain d'avoir raté une énorme occasion de se refaire un destin en choisissant de ne pas être le club résident qui donnerait aujourd'hui un sens au bâtiment. "Les hommes de Paul Le Guen joueraient-ils moins bien au Stade de France?", interroge-t-il en comparant la frilosité parisienne avec l'audace d'Arsenal, Manchester City et Liverpool. Un parallèle assez grotesque en soi, et qui oublie de signaler que les nouvelles ou futures enceintes de ces trois clubs sont de vrais stades de football.
Des années après la décision du club parisien (lire "Le Parc, miraculé du 'grand stade'"), ce choix apparaît toujours aussi légitime. C'est quasiment au nom de la patrie qu'il aurait fallu abandonner son enceinte historique, reconnue comme l'une des plus belles de France, comme la plus sonore et l'une où la visibilité est la meilleure. Un Parc qui suscite actuellement l'appétit des "exploitants d'équipements sportifs" et qui fait l'objet de projets de rénovation incluant une augmentation de sa capacité et une amélioration de ses aménagements... Bref, un stade finalement assez conforme à ceux que de nombreuses villes sont sur le point de construire à grands frais (lire CdF #40). Et qui a beaucoup d'atouts, pour un club comme le PSG, que le SdF n'a pas. Personne ne semble vouloir faire le constat que ce dernier est, depuis sa conception, inadapté à la "résidence" d'un club français.
En définitive, le principal mérite du Stade de France ne tient pas à son architecture, mais relève de l'impulsion donnée à l'aménagement de la Plaine de France, ainsi que du bénéfice d'image pour Saint-Denis. Pour le reste, on peut craindre que son statut de stade touristique se réduise progressivement à celui de monument commémoratif ou d'icône paysagère.
(1) Un de ces matches très accomplis des Bleus d'avant juin 1998 qui s'étaient instantanément effacés des mémoires des anti-Jacquet, et qui n'y ont toujours pas ressurgi. Pourtant, Diomède avait été très bon. Lire "Zidane keeps playing on the field".
(2) Quatre matches annuels plus la finale de la coupe de France. Pour sa part, le contrat entre le consortium et la Fédération française de rugby tond cette dernière des revenus liés aux panneaux publicitaires.
(3) Le choix du lauréat par Édouard Balladur entre les deux tours de l'élection présidentielle 1995 n'était pas exempt de considérations politico-économiques. La Cour des comptes et la Commission de Bruxelles ont estimé en juillet 96 que l'appel d'offres et le traité de concession étaient trop favorables au consortium.
(4) La Juventus projette ainsi d'abandonner un Stadio delle Alpi froid et complètement inadapté.