Souvenirs amers de l'Argentine de 90
Retour sur l'épopée laborieuse et plutôt chanceuse d'une Argentine sans génie, souvent à la limite, mais finaliste lors de la Coupe du monde 1990.
Texte initialement posté par Jean Luc Etourdi sur le fil Libertadores / Foot sud-américain.
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L'Argentine de 90? D'un point de vue capillaire, l'une de mes sélections préférées de tous les temps (inutile de dire que le foot contemporain me triggère violemment à cet égard); d'un point de vue footballistique, probablement la pire équipe de l'histoire.
Le contexte: décompression brutale de l'Albiceleste après son titre mondial, matérialisée entre autres par la grave blessure de Burruchaga en 88 (assortie d'élans suicidaires). Manque de bol, le Nantais est le seul milieu offensif utilisé par Carlos Bilardo depuis la retraite de Ricardo Bochini. D'où un jeu de plus en plus restrictif à mesure que les déconvenues s'accumulent (quatrième place à la Copa América de 87 à domicile, et troisième à celle de 89 organisée au Brésil).
En outre, l'Argentine avait alors du mal à produire des attaquants dignes de ce nom. Seuls trois ont été retenus pour le Mondiale 90: Caniggia (prometteur, et qui n'a pas déçu), Balbo et Dezotti. Ont été écartés les médiocres Dertycia, Airez, Alfaro Moreno ou encore Maciel, ainsi que Valdano (sur blesssure), exhumé du formol après deux ans de retraite tant ses successeurs se sont révélés pitresques. Ramon Diaz, qui sortait d'une saison étincelante avec Monaco, n'a pas été retenu à cause d'une embrouille vieille de dix ans avec Diego Maradona.
Phase de poules, Argentine-Cameroun : 0-1
Le premier match contre le Cameroun donne le ton. Les Argentins font une utilisation parcimonieuse des ailes et ont essentiellement recours à de laborieuses combinaisons axiales, lesquelles occasionnent des coups francs plus ou moins dangereux. Cependant, c'est insuffisant pour marquer et les Camerounais profitent d'une bévue de Nery Pumpido pour inscrire l'unique but de la partie. Le seul Argentin dangereux est Caniggia, entré à la mi-temps, qui virevolte par des appels incessants et provoque à lui seul l'expulsion de deux défenseurs, dont celle marquante de Benjamin Massing pour un deuxième jaune très orangé:
Phase de poules, Argentine-URSS : 2-0
La deuxième rencontre face aux soviétiques (contraints à l'offensive après une défaite inaugurale contre les Roumains) est placée sous le signe de la truanderie. L'URSS domine, joue efficacement mais est vue privée d'un penalty sur une faute de main pourtant grossière de Maradona, sur corner. Le gardien argentin Pumpido se brise ensuite le tibia en percutant un coéquipier, ce qui a occasionne un long arrêt de jeu déstabilisant les Soviétiques. Résultat: contre le cours du jeu, Pedro Troglio ouvre le score après un corner mal renvoyé.
La suite voit l'URSS dominer de manière brouillonne, d'autant que Caniggia provoque (encore) l'expulsion de Volodymyr Bessonov. Les contres argentins sont d'ailleurs assez tranchants, et l'un d'eux provoque une faute qui fait dégoupiller Oleg Kuznetsov. Non, l'arbitre n'a pas sifflé le coup franc. Oui, le coup de pompe du défenseur soviétique dans le ballon, extériorisant son dépit et son impuissance, ne s'imposait pas du tout. Jorge Burruchaga hérite de cette balle, une vraie passe décisive à l'envers, et trompe Aleksandr Ouvarov. 2-0 au final pour les Argentins qui auraient pu (et dû) perdre la rencontre.
Phase de poules, Argentine-Roumanie : 1-1
Troisième match contre la Roumanie. Un nul qualifierait les deux équipes, assez fébriles (surtout les coéquipiers de Gheorghe Hagi). Caniggia est très remuant et combine bien avec Maradona. Suite à un corner obtenu par le duo, le brutal Pedro Monzon ouvre le score. Les Roumains poussent, mais le gardien Sergio Goycoechea est vigilant sur leurs rares tentatives. Gavril Balint arrache finalement l'égalisation et les deux équipes se séparent sur un nul équitable qui satisfaisait tout le monde.
Huitième de finale, Argentine-Brésil : 1-0
Huitième de finale, contre le Brésil. Les Argentins ne reculaient devant aucun moyen, pas même l'injection de sédatifs dans les bouteilles de flotte des Brésiliens (il faisait très chaud ce jour-là, à Turin). Si bien que Branco et les autres croient avoir la berlue lorsqu'à dix minutes de la fin, les Argentins passent pour la première fois (ou presque) à l'attaque: Maradona élimine quatre joueurs et sert Caniggia, à la limite du hors-jeu, qui contourne Taffarel et marque. Avant et après: domination stérile des Auriverdes, desservis par la maladresse (Müller... Comment a-t-il pu jouer trois Coupes du monde?) ou la malchance (trois frappes sur les montants).
Quart de finale, Argentine-Yougoslavie : 0-0 (3-2 tab)
Vient ensuite le quart de finale contre les Yougoslaves, qui confirme les options de jeu entrevues précédemment. De toute évidence, Bilardo et ses hommes considéraient l'usage des ailes comme un archaïsme, une lubie sympa mais qui ne devait pas figurer ailleurs que sur les vidéos rétrospectives de la Coupe du monde 56 en Syldavie. Les Yougoslaves prennent fort logiquement le contrôle du jeu, mais l'expulsion précoce de Refik Sabanadzovic contrarie leurs efforts et équilibre les débats.
La partie finit même par s'enfoncer dans la médiocrité, les Yougoslaves ne pouvant soutenir leurs ambitions de jeu sous le cagnard florentin. Les rares occasions proviennent de percées axiales argentines en contre-attaque. Le score final est donc un bon vieux 0-0, si caractéristique de cette Coupe du monde. Ce sont les tirs aux buts et la compétence particulière de Goycoechea (associée à la fébrilité et la fatigue des Yougos) qui décident de la qualification.
Demi-finale, Argentine-Italie : 1-1 (4-3 tab)
Demi-finale contre l'Italie, à Naples. Dès l'entame, il est palpable que les Argentins misent tout sur les tirs aux buts. Les Italiens ouvrent néanmoins le score par Salvatore Schillaci, et ce relativement tôt. Ils sont alors à la merci des poussées argentines désordonnées. Sur l'une d'elles, qui les voit exceptionnellement passer par le côté, Julio Olarticoechea centre pour Caniggia, plus vif que le gardien Walter Zenga et qui dévie la balle dans les filets.
1-1, dès lors les Argentins déployent barbelés et miradors. Seul un bouquin appelé Les Lois du Jeu les a empêchés de faire usage des armes à feu. Pour preuve: la première période de la prolongation a duré vingt-trois minutes, entre les palabres, les gains de temps, les joueurs s'agglutinant autour de l'arbitre pour l'intimider... Bien entendu, l'Argentine l'emporte encore aux tirs au but.
Finale, Argentine-Allemagne : 0-1
Je n'ai pas le souvenir d'une seule offensive d'une Argentine plus brutale que jamais en finale, contre l'Allemagne. Suite à un tacle odieux sur Jürgen Klinsmann, Pedro Monzon est expulsé. Les Allemands poussent, mais ne doivent leur salut qu'à un souffle de libeccio qui fait chuter Völler dans la surface argentine. Andreas Brehme transforme ce penalty généreux. Dans les secondes qui suivent, un Gustavo Dezotti excédé réussit pour la première fois un geste technique dans cette Coupe du monde: une superbe manchette à la glotte de Jürgen Kohler, et un milliard de téléspectateurs se disent "Non, vraiment, c'est pas à Dezotti que je m'amuserais à piquer son larfeuille". Expulsion logique.
Les Argentins sont résignés en fin de rencontre, et les Allemands, grâce à un avantage numérique de deux joueurs, frôlent le break à plusieurs reprises. 1-0 pour l'Allemagne, une finale pitoyable à l'image d'un tournoi à l'avenant, conclu par une menace de mort du rugueux Sergio Batista à l'égard de l'arbitre...