Top 7 : les pires rachats de club anglais
Le match Ineos vs Qatar pour le rachat de Manchester United n'augure rien de bon pour le football. Mais on a vu bien pire en Angleterre.
C'est un fait : personne ne regrettera les Glazer à Man United. Toutefois, le duel du moment entre le controversé Jim Ratcliffe et un "fonds privé" qatarien pour reprendre les Red Devils, s'il peut ravir leurs supporters, est en droit d'alarmer les autres. Retour sur des canons du genre.
[N.B. : tous les montants indiqués dans l'article sont en livres sterling]
Chesterfield FC, les faussaires
Mars 2000, Darren Brown, vingt-neuf ans, rachète Chesterfield FC (D3) pour 850 000 livres. Son apport personnel n'est que de 27.000, les fonds proviennent de prêts sécurisés sur les actifs du club et au nom de sa société de conseil, modestement appelée "UK Sports Group".
Brown se présente comme un "businessman qui bâtit un empire sportif". Vu qu'il bossait il y a peu à British Gas puis comme vendeur de photocopieurs, on s'interroge. Mais son ascension séduit. En 1999, les présidents des endettés Sheffield Steelers et Hull Thunder (hockey sur glace) qu'il a comme clients, subjugués par son bagout, l'ont même propulsé aux commandes. Il a aussi des billes dans le basket, aux Sheffield Sharks.

Une fois dans la place, Brown claque comme un matelot bourré en permission. En 2001, les comptes jusque-là sains (balance positive de 300.000 livres) virent au rouge écarlate : 1,9 million de déficit. Grâce à une double comptabilité, il renfloue ses deux sociétés et finance un train de vie fastueux. Même sa tondeuse coûte un bras (2.500 livres).
Brown s'appuie sur deux associés infiltrés véreux, Michael Bacon et le comptable Andy Marples, pour avancer ses pions à coups de fausses factures, de détournements et d'endettements risqués. Tout est fake, y compris les contrats de joueurs.
Les opérations de prêts et transferts sont douteuses et le stade, feu Saltergate, est à deux doigts d'y passer (un dirigeant empêchera in extremis sa vente). Un antre historique, avec ses tribunes en bois baignant encore dans le jus des années 1930. Il sera notamment utilisé dans le film culte The Damned United.
Lorsque le château de cartes s'écroule, c'est la cata. Les joueurs ne sont plus payés et les chèques aux créanciers s'avèrent être du même matériau que les tribunes. En mars 2001, Brown démissionne et un redressement judiciaire arrive en mai, un retrait de 9 points et une amende pour violations diverses à la clé.
Chesterfield FC doit par ailleurs répondre de 90 infractions relevées par la fédé anglaise. Et pour couronner le tout, Brown s'étant assis sur la législation, deux tribunes non aux normes de sécurité sont partiellement fermées pendant dix-huit mois par les instances, occasionnant un sérieux manque à gagner.
Le CFC est repris à 78% par la Chesterfield Football Supporters Society qui le sauve de la liquidation. C'est le premier fait d'armes du fraîchement créé Supporters Direct qui s'est investi dans ce sauvetage.
Aucun entraîneur n'étant assez fou pour venir dans cette pétaudière, le directoire, composé de supporters, nomme manager à l'intersaison... le kiné du club, l'ex pro Dave Rushbury, qui les maintiendra en D3 en alignant du jeune (dont son fils de dix-huit ans). Quant à Brown, la brigade financière lui tombe dessus et il écopera de quatre ans ferme en 2005.
York City, The Batchelor x Top Gear
En mars 2002, John Batchelor reprend ce ventre-mouiste de D4, qui a connu son âge d'or dans les années 1970-1990 en D3, ponctué d'un bref passage en D2. Le cadre est prestigieux. York, superbe ville touristique de 200.000 habitants, a le potentiel pour attirer des investisseurs. Le chantier s'annonce coûteux, tout étant à développer ou construire, mais Batchelor s'engage à transformer le club.
Son pedigree n'est pas sans intriguer. Il a longtemps été représentant en papier toilette et a fondé le parti politique anti-système déjanté "Common Sense Sick of Politicians" (Le Bon Sens en a Marre des Politiciens). Il s'est même présenté sous cette étiquette aux General Elections (parlementaires) de 1997 à Blackburn, où il a fait campagne habillé en pilote automobile (362 voix), sa passion.
Il deviendra d'ailleurs pilote professionnel de rallye en 1999 et changera son nom à l'état civil en "John Top Gear". Mais pourquoi pas se dit-on, cet excentrique injectera du turbo-glamour dans ce club provincial.
Au diable les sceptiques et autres jaloux, les supporters sont sur un nuage et en redemandent. Batchelor laisse entendre qu'il est blindé et affiche une ambition de "global player" qui flatte l'ego des 4.000 fidèles de Bootham Crescent.
Il promet un stade flambant neuf de 15.000 places et un contrat de sponsoring à sept chiffres. Car grâce à lui, fanfaronne-t-il, "le club bénéficiera d'une exposition médiatique dont rêveraient les clubs de Premier League". Léger hic : Batchelor est fauché. Il a utilisé des prêts fictifs pour racheter York. Les dettes, elles, sont bien réelles.
Pour mieux marketer le club à l'international (!), Batchelor le rebaptise "York City Soccer Club"et floque le nouveau blaze barré sur les produits dérivés. Il est également persuadé qu'un design Nascar drapeau à damier sur une manche du maillot rehaussera le profil "multisport" du minot.
Une liquette d'emblée surnommée the Y front shirt. "Y Front", c'est aussi le terme anglais désignant le slip kangourou... À l'intersaison 2002, Batchelor parade fièrement l'horreur en voiture de course dans les rues de la ville. La totale.

Son but secret : faire main basse sur le stade, situé près du centre-ville. Un mois à peine après son arrivée, il conclut un deal avec le promoteur immobilier Persimmon qui donne son accord de principe pour acquérir le site pour 3,5 millions. Les plans prévoient la construction de 93 unités d'habitation. Persimmon verse un acompte, dont une partie ira directement dans les poches de Batchelor.
Mais les dettes explosent (1,8 million, avec doublement prévu d'ici juin 2003 si rien n'est fait) et le directoire ne voit toujours rien venir. Sauf un redressement judiciaire, qui tombe juste avant Noël 2002.
Des supporters lancent une campagne anti Batchelor et il reçoit une dizaine de menaces de mort. L'heure est grave, on parle d'extinction du club. L'illuminé est viré en février 2003, non sans avoir empoché 120.000 livres, et York City entame sa sortie de route. La D5 l'année suivante, puis la D6 de 2017 à 2022. On apprendra ensuite que Batchelor (ci-dessous) aura tenté de reprendre en tout huit clubs des divisions inférieures.
En 2004, ses exactions en série (ainsi que celles de Darren Brown à Chesterfield) pousseront les instances à introduire le critère "Fit and proper person test" (appelé "Owners' and Directors' Test" depuis 2011) dans le processus d'acquisition de club, censé garantir des propriétaires et dirigeant intègres. Un type si malhonnête que nombre de journalistes doutèrent de sa mort, en 2010.
Doncaster Rovers, le château de cartes
En 1993, l'homme d'affaires Ken Richardson acquiert Doncaster Rovers (D4) via un montage de sociétés écrans basées sur l'île de Man. Il traîne une réputation de magouilleur dans le monde du tiercé. Dix ans auparavant, il a été au cœur du plus grand scandale britannique de paris hippiques et fut banni du milieu pour vingt-cinq ans en 1984. Pour s'occuper, il a jeté son dévolu sur le football. En 1990, il a repris, et coulé, le petit club prometteur de Bridlington Town.
Richardson est peu recommandable, mais les supporters sont conquis : il leur promet la Premier League. Il assure avoir les fonds et l'appui de riches backers (financiers). Il tente d'entrée de racheter le stade de Belle Vue, propriété de la ville. Il dit vouloir le raser pour en reconstruire un nouveau.
En réalité, il compte empocher une partie des bénéfices de la revente du site à un promoteur. La municipalité flaire l'embrouille et s'y oppose. Qu'à cela ne tienne, Richardson essaye en douce de vendre Belle Vue !
Dans la nuit du 28 au 29 juin 1995, une partie de la tribune principale prend mystérieusement feu. Un incendie criminel commis à l'évidence par des Pieds Nickelés, qui ont laissé des traces compromettantes.

Les pompiers retrouvent sur les lieux un téléphone mobile appartenant à un certain Alan Kristiansen, un ancien soldat SAS lié à Richardson. Un gros finaud, payé 10.000 livres, qui laissera le message "Le boulot est fait" sur le répondeur de Richardson, qui ne l'avait même pas effacé.
Les meilleurs joueurs décampent et Rovers comptera quatre managers lors de la saison 1997-1998, dont Mark Weaver, à l'expérience footballistique discutable puisqu'elle se limite à la gestion de la boutique du club de Stockport County. De toute manière, Richardson décide de tout et sélectionne lui-même l'équipe, qui file tout droit vers la non-League (divisions, alors amateurs, situées sous la Football League - D2-D4).
Les supporters protestent et certains squattent la pelouse en plein match. Pour la dernière rencontre de la saison, ils organisent une marche funéraire "en mémoire de leur club disparu"et déposent des gerbes au pied du Town End, le kop de Belle Vue. Un bugliste joue le poignant Last Post, l'équivalent de la sonnerie aux morts dans le Commonwealth.
Rovers finit la saison avec sept professionnels et est tellement ruiné que Sheffield United doit leur prêter des tenues. Certains matches attirent des chambrées à trois chiffres, alors que la moyenne des saisons précédentes était de 2.500, et 5.000 quinze ans plus tôt (également en D4).
Le 2 mai 1998, pour la première fois depuis 75 ans, Doncaster Rovers est relégué en non-League, affichant le record de défaites en Football League (34) et une différence de buts de -83 ! La télévision sort deux documentaires sur la lamentable saga (They Think It's All Roverset Trading Places).
L'humiliation est complète. Les enquêteurs décrivent Richardson comme "le genre de type qui marcherait sur un enfant de deux ans pour ramasser une pièce de deux pence". Il prendra quatre ans de prison en janvier 1999.
Leeds United, very bad dream
En 1997, le businessman du cru Peter Ridsdale, depuis dix ans au directoire, reprend un Leeds United entraîné par George Graham. La talentueuse ossature (Martyn, Kelly, Haaland, Harte, Bowyer, Kewell, Hasselbaink...) permet aux Whites de finir 5e de Premier League en 1998.
Joli, mais le médiatique Ridsdale veut revivre les frissons de la glorieuse ère du United de Don Revie. Graham démissionne et son adjoint, l'ambitieux David O'Leary, est nommé.

De 1999 à 2001, les jeunes pousses de Leeds éblouissent l'Europe et atteignent les demi-finales en C3 et C1. Tout le monde s'extasie devant ces surdoués qui réinstallent Leeds dans l'élite européenne. "We are living the dream", déclare fameusement Ridsdale.
Sauf que le rêve est bâti sur du sable. Le club, archi-endetté, n'est évalué qu'à 12 millions en bourse mais côté dépenses c'est open bar. Presque 100 millions sont claqués sur une quinzaine de joueurs. Le club loue soixante-dix voitures de société pour un coût annuel de 600.000 livres et le directoire se déplace en jet privé.
Les émoluments des dirigeants et les contrats offerts sont stratosphériques. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, Ridsdale se verse un salaire hors primes de 650.000 livres par an. Pour financer la mégaleedsmanie, l'inventif Ridsdale a contracté un énorme prêt de 60 millions, basé sur d'hypothétiques recettes futures. Il faut se qualifier tous les ans en Ligue des champions et sortir des poules, sinon...
D'autant plus que Ridsdale est généreux et les rushes d'adrénaline lui ont grillé quelques ampoules. Il n'est pas surnommé "Father Christmas" dans le milieu pour rien. L'anecdote est entrée dans la légende. En octobre 2001, quand Leon Angel (l'agent de Seth Johnson) s'en va négocier le salaire de son protégé dans le bureau de Ridsdale, célèbre pour ses objets de luxe et poissons rouges "porte-bonheur" à 250 boules, il a un beau maximum hebdo en tête : 13.000 livres.
Un montant qu'il hésite à demander tant il est élevé pour un jeune qui en touche 5.000 à Derby County. Angel n'aura pas à l'ouvrir. "Écoute Leon", embraye Ridsdale l'air embêté, "désolé mais je ne peux pas t'offrir plus que 30.000 par semaine". Angel est tellement scié qu'il donne l'impression d'être déçu. "OK, OK", corrige de suite Papa Noël, "alors 37.000, mais pas un penny de plus." [1]
En 2002, Leeds termine 5e et rate la vitale qualif. Panique et hémorragie à bord. Rio Ferdinand est vendu 30 millions à l'ennemi Manchester United. Suivent les récemment arrivés Robbie Keane et Fowler, puis Dacourt, Kewell, Bowyer, Woodgate...
Une guerre ouverte éclate entre Ridsdale et O'Leary qui enrage de voir partir ses meilleurs éléments. L'Irlandais est limogé et l'interlope Terry Venables débarque. Un choix étonnant, "El Tel" ayant depuis longtemps perdu son mojo, mais idoine vu par l'absurde prisme local. Leeds évite de peu la descente, Venables se brouille avec Ridsdale et est remercié après seulement huit mois. Ridsdale s'éclipse.
Peter Reid, viré de Sunderland à l'automne, raboule en mars 2003. L'équipe se délite et Reid est éjecté en novembre. En mars 2004, Leeds est placé en redressement judiciaire avec des dettes de 127 millions, record britannique pulvérisé. Deux mois plus tard, c'est la relégation en D2.
En novembre, le club doit vendre la paire Elland Road-centre d'entraînement de Thorp Arch pour des clopeanuts (12,4 millions), via un arrangement cession-bail avec un promoteur qui sous-loue le tout une fortune... à Leeds United (Elland Road sera racheté en 2017 pour 20 millions).
En mai 2007, Leeds est de nouveau placé en redressement et, lesté de 10 points de pénalité, descend en D3. Début août, la Football League, soutenue par l'écrasante majorité des 71 autres clubs lors d'un vote (64 à 5), fait démarrer Leeds en D3 à -15 points pour irrégularités liées à l'insolvabilité.
Sans ce fardeau, le manager Gus Poyet aurait fait remonter les Whites... Le sort s'acharne et l'expression "Doing a Leeds" entre dans le jargon footballistique. Marcelo Bielsa leur fera retrouver la Premier League en 2020.
Portsmouth FC, les années folles
Raconter par le menu le long dévissage de "Pompey", débuté en Premier League au milieu des années 2000 et conclu en 2013 par le crash en D4, serait fastidieux et étourdissant. Trop de propriétaires louches, de magouilles et de tourbillons. Concentrons-nous sur quelques faits saillants couronnant l'ensemble de l'œuvre d'un collectif hors pair.
Tout commence grosso modo en janvier 2006, quand Milan Mandaric refourgue le mal portant à Alexandre Gaydamak. Son daron, le milliardaire russo-franco-israélien Arcady Gaydamak, tire sans doute les ficelles. Un personnage sulfureux, alors résidant moscovite, bien connu de la justice française.
Grâce au flot non-stop de vedettes surpayées (Defoe, Crouch, Kanu, Kranjcar, Muntari, Sol Campbell, Glen Johnson, Lassana Diarra, etc.), Harry Redknapp arrive à maintenir Pompey, puis à le hisser dans le top 10 en 2007 et 2008, avec en prime la FA Cup et quelques performances remarquées en C3.
L'intense va-et-vient fait ressembler Pompey à un hall de gare : 77 joueurs recrutés entre décembre 2005 et l'été 2008 et autant d'évacués. Il se dit que Redknapp, parfois chafouin, toucherait quelques sucreries sur certains "mouvements" et que des virements, non déclarés au fisc, seraient effectués offshore.
De viles calomnies, bien sûr, et le tribunal acquittera l'ami Harry d'évasion fiscale en 2012, lors d'un cocasse procès où il sera notamment question d'un compte bancaire monégasque, par lequel auraient transité des rétrocommissions, ouvert... au nom de sa chienne Rosie.
Octobre 2008, Harry rompt son contrat à 4,2 millions l'année pour filer à Tottenham. On assiste alors à une exotique valse de propriétaires domiciliés aux Îles Vierges britanniques ou ailleurs et qui semblent se repasser le club. Noël 2009, la stat suivante amuse : Portsmouth compte plus de proprios depuis le début de saison (4) que de victoires (3) ! L'opacité est telle que les instances ne savent plus à qui s'adresser [2]...
L'inévitable redressement judiciaire de février 2010 est violent : 123 millions de dettes, 450 créanciers et un retrait de 9 points. Le club doit même respectivement 40.000 et 697 livres à une école et à la Scout Association de Guernesey (Redknapp essayait-il de passer son brevet de chef louveteau ?).
Le personnel n'est plus payé et la Haute Cour de Londres envisage la liquidation. Ironiquement, le sponsor principal est Jobsite... En mai, c'est la descente en D2 puis en février 2012 un nouveau combo redressement judiciaire-retrait de points (10) plombe la saison. Direction la D3, avec de nouveau 10 unités sucrées en avril 2013, ce qui plonge Pompey en D4.

Le Pompey Supporters' Trust parvient à racheter et sauver le club en collectant 2,5 millions, qui remboursent en partie les créanciers. En 2017, on touche aux limites du "fan-owned club"et le Trust doit le revendre à un fonds d'investissement états-unien. Portsmouth, aujourd'hui pensionnaire de D3, ne s'est jamais remis de ses Années Folles.
Exeter City, malgré Michael Jackson
Mai 2002, le septuagénaire Ivor Doble, président-propriétaire d'Exeter City (D4), cherche un repreneur pour son club de toujours. Un habitant du coin est intéressé : Uri Geller, le plieur de petites cuillères. Il débarque accompagné de son fils de vingt et un ans (Daniel), ainsi que Mike Lewis et John Russell, un duo qui traîne de robustes casseroles. What could possibly go wrong ?
Un journaliste BBC s'étonne de voir Geller autant s'investir à Exeter et lui demande ce qu'il connaît du foot. "Absolument rien, mais j'adore Exeter City !", lui répond tout excité le paramentaliste psychokinésique. Les supporters sont encore moins rassurés quand ils apprennent que Lewis et Russell voudraient démolir une partie du stade et vendre le reste du terrain à un promoteur immobilier...
Le "projet" est pour le moins flou. Les Geller veulent "créer un engouement mondial autour d'Exeter City" et Uri promet qu'il rencontrera les supporters, "les inspirera et leur expliquera comment soutenir les Grecians avec leur corps et esprit".
La situation financière est désespérée, les dettes s'élèvent à 2 millions. Certains mois, le syndicat des joueurs doit payer une partie des salaires de l'effectif. Mais un soutien de marque viendra bientôt booster le karma, et aussi les coffres espère-t-on, du malade : Michael Jackson.
Le 14 juin, le pote de Geller débarque à St James' Park, le stade d'Exeter City. La soirée est placée sous le signe caritatif, notamment celui, incongru, du "soutien aux enfants atteints du Sida et aux Africains dans leur combat contre le Sida et la malaria". Jackson est entouré de gamins malades ("I want some sick kids from hospitals", avait-il exigé de Geller).

L'illusionniste David Blaine a également été convié au Barnum, ainsi que la chanteuse Patti Boulaye, star de pubs pour savon au Nigéria et groupie de Margaret Thatcher, qui entonnera un gospel... Devant 10.000 spectateurs médusés, Jackson et Uri Geller hurlent "We love Exeter so much !" et enchaînent les déclas flippantes.
Geller : "Nous reprenons le club par respect [pour les habitants]. Michael Jackson fera connaître Exeter à l'international. Dès aujourd'hui, Michael peut légalement jouer un rôle clé au directoire du club, y compris voter sur les décisions majeures concernant l'effectif. Il pourra aussi assister aux matches à domicile et effectuer les déplacements avec les joueurs."
Jackson est en transe. Il exhorte les spectateurs de se donner la main, se dire qu'ils s'aiment et qu'ensemble ils peuvent changer le monde et vaincre le racisme. Sa conclusion est délirante : "Nous pouvons aider le monde à vivre sans peur. C'est notre seul espoir ! Sans espoir, nous sommes perdus ! Je vois l'Israël ! Je vois l'Espagne !"
Las, ces incantations mystiques ne règlent ni les problèmes de trésorerie ni ceux de l'attaque en berne. Les recrues profitent de l'ambiance peace & love pour gratter des salaires sympas. Tel l'ex international Lee Sharpe, rétribué généreusement au match joué. Paul Gascoigne, approché, a décliné l'invitation.
Malgré les promesses répétées d'Uri Geller "d'utiliser ses pouvoirs paranormaux pour faire maintenir Exeter", le club finit avant-dernier et tombe en non-League (D5) pour la première fois en 80 ans, avant l'inévitable placement en redressement judiciaire. Les dettes ont doublé (4,5 millions) et les créanciers crient au scandale.
Le tandem Russell-Lewis et Uri Geller sont accusés de malversations diverses. "John Russell et Mike Lewis ont failli détruire Exeter City", écrira David Conn dans le Guardian en 2007, peu avant leur procès. Russell, le "cerveau financier" de l'affaire, écopera de 21 mois de prison.
Comme d'hab', il incombera à la collectivité et aux supporters de réparer les dégâts. L'Exeter City Supporters' Trust sauvera le club de la disparition.
Darlington FC, panique en cuisine
Été 1999, le milliardaire et ex-perceur de coffres forts George Reynolds rachète Darlington FC et ses cinq millions de dettes. "Darlo" est un moribond de D4 où les affluences dépassent rarement les 3.000. Un phénomène, ce Reynolds. Grâce à un certain génie et des méthodes peu orthodoxes, l'ancien taulard a fait fortune dans la production industrielle d'aggloméré-stratifié pour cuisines.
Il promet la Premier League pour 2005 et fait construire un stade de 26.000 places avec ascenseurs et escalators pour supporters, robinets plaqués or, urinoirs hi-tech, marbre et boiseries fines à l'étage. Consulté, son ami Uri Geller trouve l'idée géniale. Forcément.

Des noms ronflants sont annoncés, dont Faustino Asprilla et l'incontournable Gascoigne, qui préfèrera la Chine. Au final, seuls quelques journeymen des divisions inférieures rappliquent, attirés par les mirobolants salaires offerts.
L'équipe piétine, les affluences ne décollent pas (les spectateurs sont regroupés au centre d'une tribune du démesuré Reynolds Arena) et les dettes explosent. L'ambiance est invivable. Le sanguin Reynolds insulte ses entraîneurs et harcèle les journalistes jusqu'à chez eux. Sa femme, bombardée attachée de presse, pourrit publiquement tout le monde et accuse les joueurs de laisser filer les matches.
Quand le redressement judiciaire arrive fatalement fin 2003, les dettes atteignent les 20 millions ! Darlington est vendu à un consortium et Reynolds démissionne, non sans avoir frauduleusement retiré 500.000 livres en liquide (l'argent des repreneurs) à la banque du club. La police, alertée, trouvera le magot dans sa voiture.
Direction le tribunal pour Reynolds (il écopera de trois ans pour blanchiment d'argent et fraude fiscale) et les entrailles de la non-League pour Darlo qui se chopera deux autres redressements judiciaires, en 2009 et 2012.
Selon un refrain tristement connu, le club sera sauvé de la disparition par le Darlington Rescue Group, créé par les supporters. Tombés jusqu'en D9, les Quakers végètent aujourd'hui en D6, loin du faste du Reynolds Arena.
[1] Ridsdale démentira et se contredira par la suite, sans jamais révéler le salaire hebdomadaire offert à Seth Johnson. Il a évoqué le chiffre de 7.000 livres puis un salaire "au moins inférieur de 10.000 livres par rapport aux chiffres sortis dans la presse". Donc, 27.000 quand même, soit le double du maximum visé par l'agent. Interrogé, ce dernier est resté vague ("On avait une somme en tête et on a négocié. Et je vous assure qu'on n'a pas obtenu tout ce qu'on voulait. C'était une négo banale en somme.").
[2] Suite à cette affaire, et sous la pression du gouvernement travailliste, la Premier League renforcera sensiblement les critères du "fit and proper person test" à l'été 2009. Le Fair-play financier sera introduit en 2011. Portsmouth est le dernier club de PL a avoir été placé en redressement judiciaire.