Le Canal Football Club : dans quel état de forme ?
Le contenu est souvent discuté, mais qu’en est-il du contenant? Voici quelques considérations sur les sons et les images proposés chaque semaine par le Canal Football Club.
“La tête relevée, le sourire franc: en deux semaines l’OM a donc troqué l’inusable survêtement de Bielsa pour le coupé impeccable de Michel”. Dimanche dernier, le CFC a engagé le sujet de l’arrivée du nouvel entraîneur de Marseille par la question qui lui tient tant à cœur: celle de la forme. L’occasion est belle de choisir aussi cet angle complètement légitime, afin de décrire les choix formels faits par le CFC chaque semaine. En faisant complètement abstraction des éventuels problèmes de fond, on parlera donc moins de Pierre Ménès que du souriant Hervé Mathoux.
De jolies couleurs
Fidèle aux codes généraux de la télévision, l’émission du dimanche épingle un présentateur éclairé sans profondeur ni nuance: avec la tronche orange habituelle, lissée par le maquillage et les lumières (réparties pour que disparaisse toute identification d’une source prioritaire d’éclairage ainsi que toute ombre, propre ou portée). Comme ses compagnons aux visages variés (genres, âges, morphotypes aussi diversifiés que les compétences), le présentateur se détache d’un magma bleu complémentaire où siègent des spectateurs épaules contre épaules. Triés ou castés (lire "Décryptage: le public du Canal Football Club"), ceux qui apparaissent encore derrière les animateurs cadrés en plan rapprochés sont habilement répartis: installés de chaque côté de la vedette, sans composer non plus des images trop brutalement symétriques – ces dernières étant condamnées, malgré Kubrick et Wes Anderson, parce qu’elles sont soi-disant trop manifestement artificielles.
Ces jeunes femmes et ces jeunes hommes anonymes et plutôt beaux deviennent l’objet de quelques saillies coquines sur les réseaux sociaux, accompagnées du hashtag #CFC (mot-dièse gâché en ce début d’année par l’apparition automatique du logo de Chelsea dans les tweets: le club anglais le plus détesté du monde depuis que Drogba n’y est plus a les mêmes initiales que l’émission). En même temps, les spectateurs restent au second plan et on peut ne pas y faire attention, notamment lorsque les présentateurs nous regardent dans les yeux, pour nous dire des trucs qu’on n’écoute malgré tout qu’à moitié.
Conformément à l’esprit Canal, l’identité visuelle de l’émission est réussie: le fameux “+” créé par le graphiste Etienne Robial est intelligemment employé dans un pentagone, qui n’est ni le rond ni le rectangle attendus, mais qui renvoie aux faces cousues de nos bons vieux ballons de foot. Ce logo jaune accompagne le titre de l’émission et guide toute son identité visuelle: les bandeaux reprennent sa couleur vive qui se démarque d’autant plus nettement du reste des couleurs qu’il n’y a jamais rien de jaune à l’image (quel objet, quel vêtement est jaune? On prend soin, par ailleurs, de ne pas accorder trop de temps aux résumés des matches de Nantes, sur le modèle général du temps accordé aux petites équipes).
De jolis sons sur les images
Le générique principal comme ceux des pastilles (La Grande surface etc.) qui dynamisent l’émission reprennent les ingrédients incontournables que sont les très gros plans, les ralentis, ce qu’on appelle dans le monde des effets spéciaux les “particules” (eau, fumée, etc., dont on se demande bien ce qu’elles fichent là), et le montage “clipé”. Le choix des plans toujours plus courts s’impose aussi dans les interviews: c’est sans doute chiant de voir un footballeur, même charmant comme Cabaye, plus de trois secondes, alors il faut changer d’angle ou bien monter sa réponse par-dessus les images des choses dont il parle.
Ce que l’on visualise et ce que les gens racontent restent encore insuffisants: l’habillage musical est systématique. Une écoute distraite établirait surement que le choix consensuel de la pop mi-anglaise mi-électro est privilégié, pourtant c’est plus subtil que cela: il s’agit, lors des interviews comme des ralentis, de guider ce que doit ressentir le téléspectateur (une émouvante empathie lorsque le footballeur raconte ses difficultés, des frissons lorsque l’attaquant marque, etc.). Cela cause beaucoup de colère dans tous les cas, soit parce que du coup l’effet est lourd, appuyé (émotion redoublée, musique de film insistante), soit parce que la musique encourage une émotion contraire à celle que l’événement nous cause réellement (on voulait tranquillement estimer que c’était bien fait pour le joueur, ou regretter le but, etc.).
Des sons accompagnent aussi le montage: quand les plans défilent comme des panneaux ou lorsqu’il y a des fondus (au blanc, au noir, au brillant…), il y a fréquemment comme un bruit de vent pour souligner et accentuer la vitalité pourtant déjà très bien installée par la mobilité de la caméra, la petite profondeur de champ et les “jump cuts” (cut et ellipse dans un même plan, pour ne garder que les mots clés des interlocuteurs, dont on ne va pas non plus écouter tout le développement). Ces décisions, évidemment, sont celles de la télévision en général. Si l’on fait abstraction du fond pour ne s’attacher qu’à la forme, il est objectivement impossible de différencier le CFC des émissions de télé-réalité de M6 et TF1: les mêmes tonalités, la même priorité aux sentiments des protagonistes, au détriment de leurs actions, et le même choix de pimenter le tout, çà et là, de modulations qui ironisent un peu.
Globalement, de jolis habillages
Tout parait être fait pour qu’on ne s’ennuie pas; le fait est que le spectateur regarde avec grande impatience, dans l’attente douloureuse du match de 21h. À grand renfort de motion design, les hologrammes et les typographies s’incrustent sur un plateau qu’on pourrait considérer comme déjà surchargé de lumières, de chroniqueurs et même d’écrans (s’agit-il de mettre en abyme l’image sur le plateau pour interroger sa partialité?). Le regard est distrait par les choix habiles de textes se mêlant aux images, et le cerveau s’amuse avec causticité des jeux de mots dans les titres accrocheurs, convoquant volontiers le champ lexical du sport et les grandes références populaires, sans se perdre non plus dans le jeu de mot gratuit (au sujet de Valère Germain: “le bonheur est dans le prêt”).
L’invité, puisqu’on en parle, est assis, pour ne pas dire coincé, entre deux chroniqueurs: il n’a pas son côté de la table. Il serait tentant d’en déduire une observation de fond, mais ce serait hors-sujet. Il faudrait enfin comparer le temps précis consacré aux effets graphiques divers, à celui laissé à l’invité pour s’exprimer; malheureusement on ne peut pas revoir l’émission sur canalplus.fr, plus précisément on ne peut la revoir que morcelée: on a le choix entre “les meilleurs moments [sur le plateau]”, le reportage, le grand entretien et “La Grande Surface”. Les producteurs n’estiment manifestement pas que quelqu’un pourrait être susceptible de vouloir revoir l’émission dans son intégralité et son rythme original. Il est vrai qu’il n’y a manifestement aucune raison réelle de revoir une émission du CFC.