Darmon chez les nuls
Jean-Claude Darmon accueilli sur le plateau de TF1, c\'est l\'assurance pour l\'affairiste du football que la soupe sera bien servie. La vraie misère du foot français, c\'est bien celle-là...
L'artisan du "Club Europe" et de l'éviction de Noël Le Graët, l'ami du Variétés Club, l'allié occulte des dirigeants a évidemment ses entrées à TF1, la grande entreprise de décervelage par le football. Dans le désert intellectuel du plateau de Thierry Rolland, il est assuré d'obtenir hochements de tête approbateurs et sourires complices de la part de "journalistes" (quand on pense que de pareils pantins ont une carte de presse!) qui ne vont pas lui apporter l'ombre d'une contradiction.
En vingt secondes introductives, il a déjà eu le temps de prêcher la bonne parole devant ses disciples muets et d'aligner tous les lieux communs des ultra-libéraux du football "fiscalité démente", "charges sociales insupportables" et interdiction d'introduire les clubs en bourse expliquent le "handicap énorme" du foot français.
Café du commerce
Une perche lui est tendue par Thierry Roland (a-t-on répété avant l'émission?):
"Quand vous parlez aux pouvoirs publics, vous avez l'impression d'être écouté?
– Non, j'ai l'impression que les politiques s'en fichent éperdument.
– C'est ça qui est grave quand même" conclut Roland d'un air entendu avec un grand sourire.
Bien sûr, c'est la faute au gouvernement tout ça mon pauvre monsieur. Le salaire de Thierry Roland et de ses confrères doit spontanément les placer du côté des patrons, c'est-à-dire dans la même tranche d'imposition. Merci au passage pour M.-G. Buffet dont les lois sur le dopage, le statut des sociétés sportives et le travail auprès de l'Union européenne pour la reconnaissance de l'exception sportive ne semblent pas valoir grand chose aux yeux de nos experts.
Sedan: le mauvais exemple
Problème: Sedan est en tête du championnat et rappelle à tous que le football se joue sur le terrain. Darmon a une explication dans la poche de son costume à 10 000 balles: le pillage-des-joueurs-français touche les clubs les plus huppés, et "Monaco ou le PSG n'ont que des joueurs de deuxième série à faire venir". Ah bon? Anderson, Marlet, Edmilson, Anelka, Robert, Okocha, Ramé, Dugarry, Gallardo, Simone —pour ne citer qu'eux— feraient pourtant le bonheur de n'importe quel club de l'élite européenne. L'incapacité de l'OL, du PSG ou de l'ASM à faire la différence au classement du championnat s'explique de toute évidence par d'autres raisons que celles de leurs moyens financiers, qui leur ont permis de spectaculaires recrutements ces dernières saisons. Mais retenons que pour Darmon, la présence de Sedan en tête de la D1 est la conséquence des dysfonctionnement mentionnés plus haut. Autant dire une anomalie, une erreur de casting due à un championnat qui ne daigne pas respecter les hiérarchies financières...
Il lui faut ensuite répéter cette contrevérité de "l'appauvrissement du football français", alors que les droits de télévision ont été démultipliés et que tous les budgets sont en hausse depuis des années, alors aussi que l'écart avec les autres championnats européens a plutôt eu tendance à se réduire (voir N'enterrez-pas le foot français...).
"Manchester United est vraiment l'exemple à suivre", nous dit Darmon, comme si l'on pouvait prendre comme exemple indépassable le club le plus riche du monde et imposer ce modèle à tous, de Turin à Guingamp. La meilleure réponse est celle que Nicolas Sachy a faite lors de cette même émission: "Sedan aurait 500 millions de budget, on aurait trois plus d'argent à la fin du mois, mais on aurait les mêmes joueurs". Sous cette boutade se cache une vérité que beaucoup ne veulent plus entendre: on fait d'abord du foot avec des ballons, des joueurs et des entraîneurs, pas seulement avec des sponsors et des actionnaires.
Hôtel de l'industrie
Comme Aulas, son allié politique, Darmon a besoin que tout le monde croie au déclin du football français et à l'explication toute faite de ce déclin: c'est la fiscalité, c'est le gouvernement etc. Il n'y a aucune certitude que la libéralisation qu'ils réclament, celle des droits de télévision et des charges sociales, soit bénéfique au foot français et encore moins au foot en général. La seule certitude, c'est qu'elle leur permettrait de faire de plus gros profits, c'est qu'elle livrerait un peu plus la discipline aux affairistes, aux rois du marketing, du produit dérivé, du pay-per-view et de l'Internet aussi con que la télé. On comprend que l'abolition du système des transferts fait craindre le pire à nos entrepreneurs, le chiffre d'affaires du foot pro étant appelé à se réduire considérablement dans ce cas de figure.
Darmon commet une sorte de lapsus lorsqu'il déclare que "les clubs européens ont accès à la bourse et au pillage des centres de formation". Devons-nous comprendre que nos clubs doivent entrer en bourse, abandonner la formation et se mettre au pillage? Le lien de causalité involontaire fait entre ces deux dérives trahit bien le genre d'évolution préconisée. Il est bien obligé de reconnaître la nécessité d'une DNCG européenne et d'une protection des centres de formation inscrite dans la loi. L'économie du football dérégulée qu'il prône est pourtant contradictoire avec l'édiction de règles par les pouvoirs publics. Le football de Darmon, c'est celui de l'impunité financière et du brassage des millions, pas celui de la formation, de la DTN ou de la redistribution des ressources au mérite. Il se garde d'ailleurs bien de préciser que la taxe de 5% (prélevée sur les 8,2 milliards de francs sur trois ans des droits de télévision) est destinée au sport amateur.
Imaginons que le classement actuel soit le classement final. Si Aulas et Darmon avaient eu gain de cause dans le conflit sur la répartition des droits télés l'an passé (voir La guerre du gâteau, octobre 99), Sedan aurait touché des clopinettes alors que Marseille aurait été récompensé de son merveilleux parcours sportif par des sommes conséquentes, proportionnelles à son exposition médiatique. Les opposants à Le Graët voulaient que la médiatisation, le "prestige" (sur quels critères?) des clubs l'emportent sur les résultats sportifs. L'ancien président de la Ligue avait qualifié ce système de "prime à la bêtise" pour les dirigeants ayant effectué un recrutement aberrant... Le Club Europe, désormais au pouvoir à la LNF, a-t-il renoncé à un tel système? La question n'a pas été posée dimanche matin.
Jean-Claude Darmon peut en tout cas compter sur la complaisance infinie de ses interlocuteurs, qui ne hausseront pas un sourcil devant ses affirmations. À la télévision, les "journalistes sportifs" ont la même fonction et le même sens critique qu'une speakerine des années 70. Et ce n'est pas parce que l'on ne s'en étonne plus qu'il ne faut plus le déplorer.
PS: Il y a quelque temps, le site de JCD (Footaccess, qui a aucun moment n'informe sur son propriétaire, belle déontologie), avait publié un article dégoulinant d'admiration pour l'émission dominicale de TF1. Renvoi d'ascenseur ou habituel échange de services?
PS 2: Pardon pour le titre insultant, mais quand on voit dans quelle atmosphère exquise et courtoise certains peuvent faire de la propagande pour leurs propres intérêts, à des millions de téléspectateurs et en toute impunité, on se dit que le terrorisme est tout ce qui reste pour se faire entendre.