Dans les Cartons : carton du Real, Juve-Real 98, Arsène Wenger et Vitesse Arnhem
Deux victoires madrilènes face à des adversaires pas vraiment du même niveau marquent une semaine très riche, où on étudie également les méfaits de la contre-attaque et les relances de Gerard Piqué.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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Un coaching peut-il être inacceptable ?
Christophe Kuchly – Au départ, c’est une petite phrase d’un article à l’intérêt relativement limité, signé Bleacher Report, mais qui soulève de vraies questions: “Jemez is a lot of fun, but that was absolutely unacceptable”, écrit Sam Tighe. Paco Jemez, l’entraîneur du Rayo Vallecano annoncé un peu partout depuis quelques temps – notamment à la tête de la sélection –, est en effet en partie responsable de la défaite 10-2 de son équipe face au Real Madrid. Et, au-delà du ton très professoral du jugement, on comprend bien l’idée: en incitant ses joueurs à jouer au football malgré l’impossibilité de revenir au score, l’entraîneur a pris une décision dont le ratio risk/reward était beaucoup trop grand pour réussir. Et qui donne une image un peu moyenne de son équipe et du championnat espagnol. Et du football?
Poser la question, c'est chercher à savoir si le sport a des devoirs moraux (oui) et lesquels. On pourrait en citer quelques uns, comportementaux, sans réclamer le bête devoir d'exemplarité. Sous-entendre qu'un arbitre pourrait être corrompu, c'est compliqué à justifier à tête reposée. Mais plomber le score de sa propre équipe? Pendant un quart d'heure, le Rayo a mieux joué que le Real, marquant deux fois et obtenant deux autres occasions très nettes. Cela n'aurait sans doute pas continué au même rythme, et les trous défensifs directement liés à cette volonté d'aller de l'avant se seraient sans doute payés. Sauf que, le temps que ça a duré, le petit imposait son jeu au gros, répétant au passage ses gammes pour faire pareil contre des équipes plus abordables (et moins efficaces en contre).
C'est cette même idée de contrôle de son destin qui a – sans doute, on n'est pas dans sa tête – incité Paco Jemez à ne pas changer la structure de son onze devenu neuf en quelques minutes. Plutôt que de faire entrer un défenseur et/ou demander à ses troupes de se calmer pour éviter de prendre une branlée, il a fait comme si tout était normal. Cela a apporté une occasion au milieu du wagon de buts encaissés. Un bien maigre butin qui n'en valait sans doute pas la chandelle. Oui, ce refus absolu de battre en retraite était une mauvaise idée. Mais est-ce pour autant inacceptable?
Pour certains, ça l'est sans doute. Mais, pour qu'on rejoigne cette ligne, il faudra nous convaincre. Convaincre que refuser de défendre est plus grave que refuser d'attaquer et qu'un 10-2 est moins bon qu'un match sans tirs cadrés. Étant entendu que chaque entraîneur fait le maximum pour obtenir des résultats, on pourrait tout aussi bien prendre le contre-pied: en voulant gagner, Paco Jemez honore le jeu, plus que ceux qui, la défaite actée, se résignent à bétonner pour ne pas qu'elle soit trop lourde. Il l'a évidemment mal fait, mais avec des conséquences finalement très limitées puisque le goal-average n'a pas grand intérêt en Liga.
Le débat n'est pas franco-français puisque la remarque initiale vient d'un journaliste britannique, mais il y aurait plus de choses à dire ici qu'ailleurs. Encore aujourd'hui, Marcelo Bielsa se voit reprocher ses résultats, souvent par des gens qui soutenaient plus ou moins sérieusement qu'Hubert Fournier, devant lui au classement final de Ligue 1, était bien meilleur. Si cela a jamais été vrai, ça ne se vérifie plus trop. Avec son effectif qui ne ressemble pas à grand-chose, Paco Jemez est comme l'Argentin: il n'empile pas les titres et prend parfois des branlées. Mais il amène ambition, esthétisme et émotion. Et ça, c'est beaucoup moins inacceptable que bien des purges.
Le match rétro : Juventus-Real Madrid 1998
Julien Momont – L’année d’une Coupe du monde qui a sacré la meilleure défense du tournoi, la finale de la Ligue des champions s’est inscrite dans la même lignée. La présence d’une Juventus Turin à la rigueur et à la discipline redoutables est certainement pour beaucoup dans le déroulé assez minimaliste du choc face au Real Madrid. Cinquante-et-une fautes, beaucoup de duels et une mise en valeur avant tout des joueurs défensifs.
Côté Juve, Didier Deschamps brille, toujours bien placé, harceleur infatigable du porteur, mais aussi très propre avec le ballon. Son jeu est il est vrai relativement simple: récupérer le ballon, et le passer à Zidane. Un ZZ élégant et technique mais avec trop peu de solutions pour réellement faire des différences, pas aidé par un Alessandro Del Piero hors du coup.
La faute en revient en grande partie à Fernando Hierro, impeccable dans ses couvertures, sa lecture du jeu et ses relances au sein d’une défense du Real assez conservatrice, où même Roberto Carlos est plutôt prudent. Le but madrilène n’est d’ailleurs en rien construit, et il fait suite à un tir fort devant le but tellement caractéristique de l’arrière gauche brésilien, dont profite Pedrag Mijatovic.
Pour le reste, on ressortira tout de même la technique parfois sabotée par la nonchalance de Clarence Seedorf, qui s’est étoffé physiquement depuis son départ de l’Ajax; l’activité d’Edgar Davids et son engagement parfois à la limite; la qualité de la technique dos au but de Fernando Morientes, bien plus inspiré, à défaut d’être décisif, que Raúl.
En vrac
Nouveau craquage complet de Felipe Melo, qui enchaîne en quelques minutes une charge dans le dos inutile pour donner un penalty à la Lazio puis un high kick sur Lucas Biglia. Avec ses montées de tension régulières, le milieu brésilien, en bonne partie responsable de la défaite de l’Inter (1-2), réussit à faire passer le pitbull Gary Medel pour un mec plutôt calme.
Une fois n’est pas coutume, le Borussia Dortmund a été assez triste à regarder contre Augsbourg (2-0) en milieu de semaine dernière, en coupe d’Allemagne. Adrian Ramos n’a pas la mobilité ni la faculté de Pierre-Emerick Aubameyang à ouvrir des brèches, et le recentrage du Gabonais a été clé dans la victoire du BVB, comme l’entrée de Kagawa pour apporter enfin du lian, alors que le marquage individuel serré d’Augsbourg dans l’entrejeu s’est étiolé au fil du temps.
Oui, la Ligue 1 vient à nous avec ses purges trop nombreuses et sa qualité technique parfois navrante. Alors quand Nice et Montpellier s’affrontent (1-0), cela fait du bien. Du jeu vers l’avant des deux côtés, mais dans deux styles différents, plus posé côté aiglon, plus direct côté héraultais, et un match ouvert et rythmé. Sans être parfait, évidemment, mais suffisant pour passer une bonne soirée. On ne demande pas des miracles, après tout.
Pas vraiment de quoi se réjouir lors du match entre Saint-Étienne et Angers (1-0), deux équipes qui n'emballent pas souvent les matchs. Mais on a tout de même apprécié le talent de Thomas Mangani, joueur élégant doté d'un pied gauche plein d'idées et de précision. Le revoir en L1 fait du bien.
La bonne saison d'Arsenal continue, et celle de Laurent Koscielny aussi. Si Mesut Özil collectionne les passes décisives, l’ancien Lorientais enchaîne les prestations assurées. Face à Manchester City, il a commandé la défense des Gunners, coupé les offensives adverses et même fait preuve d'audace à la relance. Bonne nouvelle à six mois de l'Euro.
On notera, dans le n’importe quoi que fut parfois Valence-Getafe (2-2), les deux passes complètement ratées par Aymen Abdennour. La première, latérale et pour personne, aboutira quelques secondes plus tard à un but d’Angel Lafita. La deuxième, en retrait et dans les arrêts de jeu (en plus d’être manquée par un réalisateur occupé à passer un ralenti comme toujours inutile), sera envoyée sur la barre par le milieu espagnol. Le pire, c'est que la cause semble être une simple nonchalence.
Focus : Vitesse Arnhem
Entraîneur : Peter Bosz.
Classement : 5e d’Eredivisie.
Dispositif préférentiel : 4-3-3.
Possession : 55,2% (2e).
Buts encaissés : 17 (2e).
Passes réussies : 81,8% (2e).
Buts sur coups de pieds arrêtés : 8 (3e).
Buts sur penalties : 5 (2e).
Centres par match : 17 (17e).
Dribbles par match : 10,8 (1er).
Tirs hors de la surface par match : 7,1 (2e).
Joueur clé : Guram Kashia (défenseur central) ; 3 buts, 2 passes décisives, 3,8 duels aériens gagnés par match (5e), 0,8 faute par match.
(Statistiques WhoScored).
L'instantané tactique de la semaine
C. K. – La contre-attaque est une grande arme, particulièrement pour une équipe comme l'Atlético, qui aime aller vite et sait bien défendre. Mais, quand on se précipite et qu'on négocie mal la transition offensive, on prend finalement d'énormes risques. L'adversaire peut ainsi profiter de la désorganisation en cours, sans avoir véritablement fait de pressing pour, avec en plus un grand nombre de joueurs positionnés haut sur le terrain.
Quelques secondes avant cette image arrêtée, Malaga bénéficiait d'un corner. Charles, l'attaquant brésilien, avait eu sa chance au deuxième poteau mais sa frappe, contrée, est alors revenue en deux temps dans les pieds des joueurs de Diego Simeone. Fernando Torres mène alors le contre mais Albentosa, pourtant battu, réussit un tacle glissé parfait de l'arrière pour lui enlever le ballon avant qu'il prenne de la vitesse. À cet instant, même si les Colchoneros n'ont officiellement le ballon que depuis deux secondes, leur forme a complètement changé.
Nordin Amrabat, sur le côté gauche, se retrouve tout seul et peut prendre tout son temps pour faire le bon choix. Lequel? Donner au second poteau à Charles, qui n'a pas vraiment bougé depuis tout à l'heure... contrairement à Filipe Luis, qui a entamé un sprint vers l'avant. Comme Torres, on voit qu'il met un coup de frein pour repartir dans l'autre sens. Trop tard: il a laissé seul un joueur qui aurait dû ne plus compter dans l'action et ses partenaires, qui n'avaient initialement aucune raison de le faire, n'ont pas compensé latéralement. D'un tir dévié, Charles marque le seul but du match.
Les déclas
"On analyse nos adversaires et on essaye de le faire de la manière la plus simple et la plus efficace possible. On montre aux joueurs les points fort de l’adversaire et également où ils pourraient être vulnérables. On essaie de le démontrer avec des chiffres, parce que le poids est plus important si on peut dire ‘Regardez, cette équipe a encaissé 70% de ses buts depuis le côté gauche.’ Les joueurs vous croiront plus."
Arsène Wenger, dans une passionnante interview sur son utilisation de la data.
"Il faut accepter que le joueur doive prendre une décision sur le terrain en une fraction de seconde, et il faut accepter que le jeu appartient aux joueurs. On peut les éduquer pour qu’ils prennent les bonnes décisions, mais une fois sur le terrain, ce sont eux qui les prennent. Le football est compliqué parce que c’est à onze contre onze et qu’il y a un milliard de situations possibles. Chaque situation n’est jamais exactement la même."
Arsène Wenger, toujours.
“Les statistiques peuvent vous tromper, parce que si, par exemple, un joueur marque trois buts, on pourrait penser qu’il est de classe mondiale. Mais peut-être qu’il a simplement joué contre un mauvais défenseur central ce jour-là. Il faut donc toujours mettre en perspective, bien analyser le match et mettre en contexte.”
Arsène Wenger, enfin.
“C’était toujours une question de ‘comment les stimuler?’ Comment rend-on l’entraînement stimulant et agréable? Ils en avaient vraiment besoin, mais ils avaient aussi besoin de structure et de limites. En fait, les plus grands joueurs respectent ça et l’acceptent. Ils veulent cette structure dans leurs exercices, ils demandent de l’organisation et du professionnalisme.”
Paul Clement, ancien entraîneur adjoint de Carlo Ancelotti, dans une interview au Guardian.
“J’ai pu voir directement comment Carlo opérait. Il m’a surpris dans la manière dont il gérait les choses. À la mi-temps, je me testais, je me demandais ce que je ferais dans certains scenarios, et je regardais comment il parlait aux joueurs, et il allait parfois à l’opposé de mes instincts. Par exemple quand l’équipe avait été mauvaise et son attitude pas bonne, j’aurais été tenté de rentrer dans les joueurs. Mais lui était au fond de la pièce, rassemblant ses pensées, avant de tapoter sur le tableau tactique: ‘Voici ce que je veux voir en seconde période.’ Clair. Simple. Boom. Sortez et faites-le. Tellement calme!”
Paul Clement sur le management de Carlo Ancelotti.
“Beaucoup de ce qu’on faisait (à Chelsea, au PSG, au Real…), c’était réduire le temps et l’espace. C’est trop facile pour les grands joueurs si vous leur donnez du temps et de l’espace, donc il faut les réduire pour les faire réfléchir, agir et bouger plus vite. (…) Il n’y a pas de différence technique pour entraîner en Championship. Il y a un recalibrage en termes de niveau, mais les objectifs sont les mêmes. Donc je fais avec mes joueurs beaucoup des exercices que je faisais déjà dans mes clubs précédents.”
Paul Clement, désormais entraîneur principal de Derby County.
La vidéo de la semaine
Face à une équipe très regroupée, avoir un défenseur central qui aime porter le ballon jusqu’au rond central et qui est capable de faire des passes plutôt simples mais très verticales pour casser les lignes est très utile. C’est le cas de Gerard Piqué, défenseur atypique mais vrai bon joueur, qui a montré cette facette de son jeu face à Guangzhou en Coupe du monde des clubs. Un détail en apparence mais qui permet à une équipe de garder sa structure en jouant très haut sur le terrain.
La revue de presse (presque) anglophone
Plusieurs thématiques ont dominé la semaine tactique. La première, évidemment, c’est l’éviction de José Mourinho de Chelsea, qui pousse à s’interroger sur ses échecs tactiques. L’occasion aussi de relire cet article de Jonathan Wilson qui explique pourquoi la méthode Mourinho tourne toujours mal la troisième saison. Place maintenant à Guus Hiddink: à quels changements tactique peut-on s’attendre avec le Néerlandais?
Autre thématique, quelque peu liée: la réussite de Leicester, dont la victoire contre les Blues (2-1) lundi dernier a débouché sur le départ du Special One. Voici comment la formation de Claudio Ranieri domine la Premier League, en anglais et en français. Une réussite évidemment incarnée par Ryiad Mahrez, Jamie Vardy et Ngolo Kanté, mais aussi par la transformation du défenseur central Wes Morgan.
Outre-Manche, un autre joueur impressionne ces temps-ci: Mesut Özil, un numéro dix qui joue avant tout pour les autres. Certains affirment même qu’il est le meilleur meneur de jeu du monde, tant sur le plan esthétique que statistique. Voici d’ailleurs son impact étudié à l’aune d’autres chiffres.
On aime ou on n’aime pas, mais Sam Allardyce a un style et il sait l’exploiter au mieux.
Cette saison, Frank de Boer est décevant à la tête de l’Ajax. Il semble en outre avoir du mal à se remettre en question.
Diego Simeone est pressenti pour débarquer à Chelsea l’été prochain. Pas sûr, pourtant, qu’il puisse s’y épanouir autant qu’à l’Atlético.
Pep Guardiola, maître tacticien mais roi de la dispute interne?
Allemagne toujours, avec une analyse détaillée du jeu de position du Borussia Dortmund de Thomas Tuchel.
Première partie du top 100 des meilleurs joueurs selon le Guardian.
Comment expliquer que la Premier League soit soudainement aussi imprévisible et pleine de surprise?