Faux passeports et vrais procès
Qu'avons-nous déjà appris dans cette affaire riche en enseignements? Par exemple que personne ne contrôle les passeports dans le football. Il faut que les douanes ou la police détectent les supercheries, les premières lors de passages aux frontières, la seconde quand les affaires éclatent. Auparavant, la Ligue avait classé les photocopies et tamponné les licences, les clubs ajusté leurs quotas au quart de poil. Toutes ces affaires, en France et en Europe montrent que "l'exception sportive" pour le moment, c'est ce qui permet aux dirigeants de s'arranger à la va comme j'te pousse avec les règlements, c'est l'habitude de vivre dans un régime d'exception qui autorise les approximations plus ou moins délibérées. On a l'impression qu'aujourd'hui les clubs retombent brutalement dans la réalité, celle de la loi en particulier. Et la réalité, ça fait mal.
Pauvre France?
Remarquée dans les réactions à nos articles, l'éternelle plainte franco-française "nous sommes les seuls assez bêtes pour nous punir tout seul, il n'y a qu'en France que les clubs vont être sanctionnés etc." fait son retour, comme un réflexe d'auto-flagellation très classique dans ce pays. Pourtant, en matière disciplinaire, le retrait de points, mesure forte s'il en est, n'avait jamais été pratiqué. Mais surtout, faudrait-il envier un pays comme l'Espagne, ses arrangements diplomatico-financiers (le Roi efface 900 MF au passif du Real?!), ses instances sportives complices (voir le cyclisme) et ses médias démagogues? D'autre part, l'Italie n'est pas à l'arrière-garde en matière d'investigation sur le dopage (affaires Zeman, Pantani…) ou sur les passeports (les premières fraudes sur les nationalités ont été instruites là-bas). La difficulté à faire aboutir les enquêtes (comme celles du juge Guariniello) dans les milieux verrouillés du sport et la durée longue des instructions ne doivent pas laisser penser que les pouvoirs publics restent totalement passifs devant les puissances politico-économiques du Calcio. D'autant que les médias n'ont pas minimisé les faits, et qu'une certaine volonté politique s'est manifestée. Et si l'Angleterre et l'Allemagne semblent épargnées, c'est peut-être parce qu'une plus grande rigueur y est de mise: outre-Manche, depuis l'affaire Edu, tous les passeports sont soumis aux services de police avant homologation. Une précaution qui va entièrement de soi, mais qui n'a pas été observée en France. Gérard Bourgoin n'a cessé de répéter que la Ligue n'avait pas le pouvoir de vérifier les documents. Tout comme les clubs, elle avait celui de les faire vérifier par les autorités compétentes.
La Ligue coupable
Obligée de sévir un peu aveuglément pour éteindre l'incendie et sauver ce qui reste de sa crédibilité, la Ligue a donc une bonne part de responsabilité dans la catastrophe actuelle, en raison d'une négligence qui a permis à ses membres de jouer avec les règlements, jusqu'à laisser des malversations pures et simples se développer. Si nous avons parfois défendu le bilan de Noël Le Graët, il ne s'agit pas cette fois de plomber Bourgoin plus que son prédécesseur. Dans ce dossier, le laxisme de la Ligue ne date pas d'hier et l'on s'étonne que personne ne songe à stigmatiser un peu plus ses manquements. Son avantage étant de rendre elle-même la justice sportive, elle s'appliquer à rester du bon côté de la barre. Et comme pénalement, elle ne peut être inquiétée… Quoique: la police a perquisitionné jeudi au siège de la Ligue, alors...
Puissance économique en pleine expansion, l'industrie du football est incapable de se doter d'administrations compétentes qui consacreraient les moyens adéquats au bon gouvernement du monde professionnel. Le foot pro aurait pourtant besoin d'institutions fortes pour réguler tous les aspects de ses activités. Mais nos dirigeants libéraux ne voient dans la Ligue qu'un outil politique qui ne devrait pas coûter trop cher et avoir pour mission d'agir au mieux leurs intérêts. C'est bien le problème de cette LNF qui, dans d'autres domaines aussi, comme l'arbitrage ou la discipline, sans même oser parler de lutte anti-dopage, est incapable de défendre l'intérêt général du football, puisque celui-ci est souvent contradictoire avec ceux des clubs. Avec les tensions économiques et politiques qui accompagnent la folle croissance de ce sport, on ne peut laisser aux clubs (et derrière eux à leurs actionnaires), l'entière responsabilité des affaires, car ils ne l'assument décidément pas.
La faute à Bosman
L'Arrêt Bosman est-il vraiment la cause de tous les malheurs du football? Son invocation trop systématique par les acteurs du football en fait douter sérieusement. D'abord parce paradoxalement les dérives révélées aujourd'hui résultent justement ce que l'arrêt Bosman n'a pas supprimé, de ce qui est resté des règlements sur les quotas de joueurs. Après que la limitation des joueurs communautaires ait disparu, ce sont les clubs, particulièrement les plus puissants, qui se sont rués sur les joueurs issus des pays de l'Union, et qui ont ensuite essayé de contourner le dernier obstacle qui se dressait devant leur fantasme de marché mondial des footballeurs, c'est-à-dire la limitation des joueurs hors communauté. Le foot a connu des règlements bien plus contraignants, sans générer une telle vague de fraudes. Et si les sésames communautaires sont devenus synonymes de plus-values pour les agents et les clubs, entraînant le développement d'un trafic et de réseaux internationaux, quelle en est la cause majeure, sinon ce marché des transferts inflationniste et irrationnel et la demande des clubs eux-mêmes? Alors cette fois encore, l'arrêt Bosman a bon dos, et fait figure d'explication universelle aux conséquences de la fuite en avant du foot-business.
Alors même qu'il n'a livré qu'une fraction des vérités à venir, le dossier des faux passeports apporte de nouveaux éclairages sur le foot pro, qui montre un visage pas très flatteur sous cette lumière. Ce progrès de la connaissance est une mince consolation.