Fédération: la fracture sociale
Cryogénisé dans les années 50, Claude Simonet a conservé son look de secrétaire général du parti. Il a d'ailleurs été reconduit pour un nouveau mandat avec 94% des voix. La comparaison s'arrête là puisqu'il s'agit de la Fédération française de football, et que son nouveau mandat pourrait connaître de nouveaux bouleversements majeurs, et voir s'aggraver l'opposition.
La quasi-unanimité de l'assemblée fédérale élective du 16 décembre pour le poste de président résulte d'un bilan assez incontestablement positif dans la plupart des domaines dont la fédération est responsable, à commencer par l'équipe de France. Avec Noël Le Graët à la Ligue, Claude Simonet a accompagné la résurrection du football français, qui se trouvait dans une position dramatique après l'affaire VA/OM, le drame de Furiani et la non-qualification au Mondial 94. Sur le plan politique, on ne peut plus sous-estimer le débonnaire président, qui a suffisamment assis sa position pour dissuader tout autre candidature.
Les amateurs contre les pros
Cette réélection attendue a cependant moins fait l'événement que la colère des représentants du football de masse, majoritaires à la fédération et qui se sont fait entendre pour mettre en garde les clubs professionnels, et particulièrement ceux qui ont pris le pouvoir à la Ligue. Gérard Bourgoin, qui en qualité de président de la LNF était candidat au Conseil fédéral, a dû subir le désaveu d'un passage au second tour, ce qui n'était encore jamais arrivé. Et parmi les autres candidats présentés par la Ligue, alors que Carlo Molinari (Metz) et Jean-Claude Hamel (Auxerre) passaient largement au premier tour, Perpère atteignait à peine 55% des suffrages. Le message est clair.
Une certaine défiance s'est en effet installée entre les deux instances depuis l'avènement du club Aulas. Bourgoin et son "bureau" verrouillé n'ont pas éclairci leurs intentions ni donné toutes les assurances en faveur de la "nécessaire solidarité entre le sport amateur et le sport professionnel", inscrite dans la loi française sur le sport et le récent texte de l'Union européenne sur l'exception sportive. La Fédé attend aussi que les nouveaux dirigeants confirment les 100 MF promis par Noël Le Graët, au sujet desquels s'est interrogé William Mitrano, président de la Ligue Midi-Pyrénées, qui a également déclaré: "La solidarité doit porter sur l'ensemble du football français et pas seulement entre les clubs professionnels. Chez les amateurs, on en a ras-le-bol de voir des tribunes vides en raison des retransmissions télévisées" (L'Equipe 17/12). Il est vrai que pour le moment, si les destins des pros et des amateurs sont liés, c'est surtout dans le sens des multiples effets pervers du foot-biz sur le foot populaire, qui va en se paupérisant. La création d'une Ligue national du football amateur (LNFA), décidée par l'assemblée fédérale, l'aidera peut-être à peser d'un plus grand poids sur la scène nationale.
La taxe de 5% sur les droits de télévision, inscrite dans la loi Buffet et destinée au sport amateur, avait déjà fait hurler les dirigeants des clubs. Mitrano a aussi illustré la situation sous un autre aspect, en prenant l'exemple de Philippe Mexès: "Voilà un joueur qui a été formé chez nous. Nous avons investi du temps et de l'argent. Maintenant, il est coté peut-être 40 millions de francs. Si demain Auxerre le vend, le club aura fait un bénéfice net et nous, qui sommes à la base de ce transfert, nous n'aurons rien. C'est inadmissible" (AFP 16/12). On touche là au problème des transferts et de l'indemnisation de la formation, mais ce cas de figure très courant trahit l'hypocrisie des dirigeants de l'élite, qui ne veulent pas être pillés (sur le marché européen) tout en continuant à profiter gratuitement des produits du terroir.
On se demande alors comment Simonet espère "rétablir des passerelles financières et humaines plus fortes" entre les deux mondes (AFP), au moment où la Ligue est détenue par des néo-libéraux qui font la sourde oreille et renvoient les bénévoles devant l'Etat (selon la logique "à nous ce qui rapporte, au contribuable ce qui coûte").
L'arbitrage en chantier
Simonet a justement indiqué un dossier prioritaire pour son nouveau mandat, celui de l'arbitrage, sur lequel il a reconnu avoir échoué. Si la professionnalisation des arbitres de haut niveau devrait avancer, il s'agit surtout de trouver et former des bénévoles pour diriger les dizaines de milliers de matches de toutes les ligues et tous les districts (25 000 arbitres quand il en faudrait 180 000). Et dans cette optique, l'image donnée par les professionnels, joueurs et dirigeants, en matière de respect de l'arbitre n'est pas faite pour encourager au volontariat. Le président s'était d'ailleurs inquiété que le Conseil d'administration de la Ligue comportait trop de dirigeants des grands clubs pour avoir "l'indépendance voulue" dans ce domaine. Parent pauvre du football, l'arbitre verra-t-il son statut évoluer?
Un tremplin pour Platini?
Enfin, sur un tout autre plan, Claude Simonet a explicitement invité Michel Platini à prendre auprès de lui un poste de Vice-président, plus tangible que son rôle de "conseiller spécial" de Sepp Blatter à la FIFA. L'ancien capitaine de l'équipe de France pourrait y trouver l'avantage de pouvoir préparer dans une position intéressante sa candidature à la présidence de l'UEFA (voir Gazette 19), ou pourquoi pas à la FFF elle-même en 2004. Il réfléchit.
Claude Simonet est un président responsable et rassurant, mais il faudrait qu'il s'oppose nettement à la Ligue en "fédérant" justement le monde amateur, et tire profit du soutien du ministère pour rééquilibrer le rapport de force et contraindre les industriels à payer leur redevance envers la "base".
Enfin, sur certains dossiers, à l'instar de ses collègues des autres disciplines, il montre une candeur un peu suspecte, comme lorsqu'il affirme que "le dopage a été bien circonscrit" ou proclame la fin de la corruption. On aimerait croire au premier de ces diagnostics, mais les certitudes ne pourraient venir que d'un dispositif de détection et de lutte exemplaire, dotée des moyens adéquats. On en est loin.