Fiorèse, du plomb dans l'aile
L'attribution du Ballon de Plomb de Plomb 2004 à Fabrice était peut-être prématurée, mais pas du tout injustifiée... Retour sur le destin exemplaire de ce footballeur emblématique.
Auteur : Pierre Martini
le 29 Nov 2007
"L'idole du Roudourou"
L'Équipe magazine publiait, le 3 novembre, une interview commune de Florent Malouda et Didier Drogba, anciens coéquipiers à Guingamp qui se sont retrouvés à Chelsea... Des parcours singuliers et des réussites professionnelles remarquables pour deux joueurs qui figurent aujourd'hui au sommet de la hiérarchie mondiale. Et le destin a décidément des détours inattendus. C'est du moins ce qui transparaît de cet entretien au moment où les deux compères évoquent l'arrivée de Drogba à l'En Avant...
"Il était ambitieux, mais il est arrivé sans faire de bruit, restant dans son coin, raconte Malouda. C'est la bonne attitude pour un nouveau qui débarque en pleine saison". "C'était chaud", confirme l'intéressé. C'est Malouda qui explique: "Fiorèse était l'idole du Roudourou. Pour le remplacer, les supporters attendaient une grosse pointure. Didier, lui, avait l'étiquette d'un joker de D2 incapable de tenir quatre-vingt-dix minutes. En plus, il a pris le numéro de Fiorèse".
Ce passage vaut pour son ironie, en tant qu'illustration des trajectoires inattendues que peuvent prendre les carrières des joueurs, partant parfois dans des directions qui défient la balistique, comme des balles perdues. L'anecdote annonce un autre chassé-croisé, à l'été 2004, entre les deux anciens Guingampais. Elle préfigure surtout le malentendu autour de Fabrice Fiorèse.
Un été en pente raide
Lorsqu'il devint le second Ballon de Plomb de l'histoire, cette désignation fit polémique sur ces pages. On y vit déjà la déliquescence de notre trophée, la vengeance commune des électorats parisien et marseillais, l'injuste élection d'un bon joueur dont le tort principal fut de jouer successivement pour nos deux cadors décatis. C'était faire quand même peu de cas du caractère mélodramatique de ce transfert: la nuit fatidique du 31 août, la "prison" à laquelle échappait le joueur, les vomissements de Vahid Halilhodzic, les déclarations de José Anigo pour justifier ce recrutement, les retrouvailles émouvantes de Fabrice et Fred (autre martyr parisien après les sifflets de la Coupe de France), etc.
C'était surtout ignorer que le virage brutal pris par le joueur allait le conduire dans une ornière dont il n'est toujours pas sorti, trois ans après. Pris dans une tourmente qui le dépasse (1), il déçoit sur le terrain et devient rapidement indésirable, au point d'être prêté à AL-Rayyan au Qatar, à la fin de cette saison de plomb.
Son retour s'effectue, encore sous forme de prêt, au sein d'un FC Lorient où Christian Gourguff pense avoir réalisé une bonne opération en misant sur la relance du joueur. Bingo: avec deux buts inscrits au Parc des Princes contre son ancien club, lors de la première journée, Fiorèse redémarre en fanfare. Mais ce sera tout: au terme de l'exercice, il ne comptera que sept rencontres disputées en Ligue 1 et aura de nouveau été mis sur le banc, puis au ban par son entraîneur. Fabrice s'épanche dans la presse sur cette nouvelle injustice qui lui est faite et jure de son excellent esprit au sein du groupe breton.
"Choix de l'entraîneur"
L'été dernier, le loft marseillais rouvre en son honneur. Les clés lui sont confiées. À la fin du mercato, il rejoint le groupe pro et ne cache ni sa joie ni ses attentes: "Je retrouve une vie normale de footballeur. Sincèrement, je suis vraiment content. J'avais vraiment à coeur de regoûter à ce quotidien, c'est un soulagement et un grand plaisir. (...) Je n'ai pu me relancer dans un club, alors ce sera peut-être à l'OM que je retrouverai mon meilleur niveau". Pour l'occasion, il fait l'éloges Albert Émon: "J'ai beaucoup d'estime pour lui. Et, ce n'est pas parce qu'il est maintenant entraîneur que je dis ça".
Fio n'apparaît pourtant jamais dans les dix-huit, et il accueille avec beaucoup d'espoir l'arrivée de Gerets, d'autant qu'il est le joueur du match amical face à Bastia, mi-octobre: une passe décisive et un but pour sa première apparition avec l'équipe A depuis la saison 2004-05. Cette prestation ne lui permet malheureusement pas de forcer les portes du groupe en championnat, ni même en Coupe de la Ligue – alors que tout Marseille attend son grand retour en compétition à l'occasion de la réception du FC Metz. Son nom est pourtant mentionné chaque semaine dans les présentations d'avant-match, irrémédiablement accolé à la mention "choix de l'entraîneur". Il faut donc se tourner vers la CFA2 pour le voir évoluer. Force est de constater qu'il a sa place au sein du leader du groupe C (buteur face à Saint-Georges dernièrement).
Joueur de trêve
Début novembre, interrogé par Luis Fernandez au micro de RMC, il déclare ne pas comprendre son sort alors qu'il travaille à l'entraînement. "[Gerets] ne fait pas jouer les meilleurs, c'est tout! (...) Il ne faut pas être naïf, et il faut comprendre qu'ici, c’est bloqué pour moi (...) Je dois trouver un club qui profite de ma motivation (...) Je vais me préparer pour le mercato. Mon championnat va débuter le 31 décembre. Il faut que je trouve un club qui puisse me donner la confiance. J'ai envie de jouer, j'arrive vers la fin de ma carrière donc j'ai envie de profiter encore un an ou deux".
Confirmation : Fabrice Fiorèse est devenu un joueur de mercato, dont on ne parle que lorsqu'il n'y a plus de compétitions sur les pelouses. Ultime fait d'armes: il est à l'origine de la décision de Moussilou de partir à la conquête du Qatar, dont les hésitations ont été balayées par ses propos enthousiastes sur le pays.
Contrairement à ce que l'on croit souvent, tous les footballeurs professionnels actuels, à de très rares exceptions près, ont un bagage technique de très haut niveau – le problème étant la liberté qui leur est laissée, par les schémas tactiques et les enjeux de la compétition, de l'exprimer sur les terrains. Dès lors, le phénomène le plus fascinant, pour nourrir nos détestations footballistiques, est plus l'évolution surréaliste de la mentalité des joueurs que la recherche de véritables "chèvres" et d'authentiques "bourrins". Transformés, plus ou moins de leur plein gré, en marchandises vivantes, nombreux sont les footballeurs qui croient utile de justifier leurs atermoiements avec un discours suscitant la colère ou l'écoeurement des amateurs de football.
Déjà excessivement puni pour ses simulations (la "jurisprudence Fiorèse" du Conseil national de l'éthique n'eut quasiment aucun lendemain), ce joueur porte un autre fardeau beaucoup trop lourd pour lui: il symbolise en effet le mercenaire qui compte autant de cœurs que de clubs par lesquels il passe, qui s'enferme dans les contradictions et engage sa carrière dans une impasse sportive.
Fabrice Fiorèse est devenu un joueur totalement emblématique, un idéal-type de sa profession et un inépuisable réservoir de sarcasmes. Un bien beau Ballon de Plomb, en somme.
> Le bureau de vote du Ballon de Plomb 2007
(1) À l'instar de Frédéric Piquionne quelques années plus tard, de nombreux footballeurs ne prennent absolument plus la mesure de la dimension symbolique de l'appartenance à un club, telle qu'elle subsiste chez les supporters.