Guerre des droits : la privatisation du football
Imitant Kirch pour la Coupe du monde, la LNF a décidé de commercialiser les droits radiophoniques de ses compétitions. Dépecé en morceaux et totalement privatisé, le football sera-t-il plus rentable? En attendant, TF1 promet l'apocalypse publicitaire pour le Mondial.
Les radios prises au piège?
Echouant momentanément à changer les règles de répartition des droits télé (au profit du système élitiste de leur cœur), les ultra-libéraux de la Ligue viennent d'annoncer qu'ils allaient lancer un appel d'offres pour l'attribution des droits de radiodiffusion des championnats de D1 et D2 et de la coupe de la Ligue. Il ne fallait pas douter que Leo Kirch fut un précurseur rapidement imité par nos apprentis sorciers hexagonaux. Après dix-huit mois de pouvoir marqués par les affaires, les gesticulations de Bourgoin et un immobilisme dont nous ne nous plaignions pas, le pool bureau de la Ligue/ UCPF semble décidé à s'agiter et à appliquer son programme le plus radical.
Le GIE des principales radios du territoire (Radio France, RTL, Europe1, Sport FM et RFI), constitué contre RMC, récent détenteur exclusif des droits du Mondial nippo-coréen, voit donc s'ouvrir un nouveau front, en même temps que le sol sous ses pieds. Son président, Jean-Marie Cavada a réclamé une "table ronde" entre les représentants des médias et ceux du football (Ligue et Fédération) avant toute ouverture de négociation. Passé le moment de l'union, et devant le constat que RMC est bien déterminé à faire son beurre avec la Coupe du monde, comment vont agir les différentes radios, incitées à entrer dans une ère de concurrence acharnée? Si elles parviennent à ne pas imiter les télévisions, elles pourront toutefois essayer de souscrire collectivement l'ensemble des droits.
Football, propriété privée
Evidemment, si l'on prend ce qui se fait en télévision pour la norme, ce changement va paraître normal, voire fatal. Le glissement est pourtant très significatif. Car si les images télévisées captent directement le spectacle produit sur le terrain, ce qui justifie le paiement de droits, les retransmissions radiophoniques tiennent au récit qu'en fait le commentateur qui assiste au spectacle.
On voit où cela nous mène. Comme le suggérait récemment Tapie, on peut aussi vendre les droits de "retranscription" et faire payer la presse écrite. Bientôt, notre Diaporama sera illégal, et nous devrons payer une dîme à chaque mention de l'Olympique lyonnais® ou du Racing Club de Lens©. Et un peu plus tard, on ne pourra plus parler du match de la veille avec des potes sans régler une taxe. Si les clubs veulent récupérer la propriété de leurs droits, c'est pour les multiplier, pour privatiser tout l'espace du football en se posant abusivement comme les seuls propriétaires du spectacle. Car l'escroquerie intellectuelle qui consiste à assimiler un club aux intérêts supérieurs de ses dirigeants est de taille. Mais elle semble marcher.
A la place des supporters, on ferait payer les clubs pour les droits de leurs tifos et l'utilisation de l'image de chaque spectateur apparaissant à l'écran. Les contribuables pourraient aussi faire valoir leurs droits sur des stades qu'ils ont en grande partie financés, et les municipalités sur l'usage du nom de la ville. Il faudrait aussi reverser de l'argent à tous les joueurs qui ont contribué à l'histoire et au palmarès d'un club, contribuant à sa valorisation actuelle. Etc.
Le plus grave est que cette taxation de l'information implique que les situations d'exclusivité vont se multiplier. Imaginez simplement qu'un journal détienne celle du championnat de D1. Etonnant comme la "libre" concurrence détruit toute diversité… Le sport professionnel est déjà devenu un sous-produit des médias, il est en passe devenir le produit exclusif de certains médias
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Impuissance et complicités
Comme cette démarche exploite un vide juridique, la réprobation des ministres concernées (Catherine Tasca et Marie-George Buffet) reste d'autant plus impuissante que la période électorale bloque toute initiative. La solution est pourtant politique, car il s'agit de fixer les limites de ce qui est commercialisable, et l'enjeu concerne aussi bien la définition de l'information que l'exercice du journalisme.
On peut par contre s'interroger sur la passivité absolue de la Fédération, qui délègue la propriété des droits existants à la Ligue, sans faire le moindre usage des prérogatives que la loi lui garantit, notamment pour préserver la vocation culturelle et sociale de la discipline et son accès par le plus grand nombre. Il semble que les dernières tractations entre les deux instances — concernant le protocole financier qui les relie — ont assuré la complicité silencieuse de Claude Simonet devant cette appropriation abusive (le président de la FFF imite en cela un autre grand hypocrite, Sepp Blatter soi-même).
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Coupe du monde : TF1 déploie son arsenal publicitaire
Reparlons de la Coupe du monde, dont le groupe TF1 a acquis l'exclusivité télévisuelle pour la France. La filiale de Bouygues a publié en janvier ses tarifs de publicité et de parrainage pour la compétition, ainsi que l'essentiel de son dispositif, consistant notamment en une émission quotidienne diffusée de 18h30 à 20h. Celle-ci a évidemment pour but de compenser le déficit d'audience dû aux horaires de diffusion des matches, et comportera des séquences qu'il nous tarde de découvrir (Quiz, caméra cachée…). D'après Etienne Mougeotte (CB News / Les Echos 16/01), il s'agira de "faire un programme ludique et fédérateur, une grande fête du foot pour les passionnés, mais aussi les femmes et les enfants". En clair pour les annonceurs: on va ratisser très large. Il faudra donc s'attendre à un matraquage publicitaire encore plus infernal que d'habitude, afin d'entretenir l'illusion que les sommes investies peuvent être rentabilisées.
Car l'objectif de couvrir les 56 millions d'euros consacrés à la seule édition 2002 semble très irréaliste à de nombreux observateurs d'un marché publicitaire pas en grande forme en ce moment.
Dans ce paysage peu réjouissant, un espoir réside pourtant. Une bonne plantade et le marché s'écroule durablement, mettant un terme à l'inflation ahurissante des sommes brassées dans le football professionnel. Ça vaudrait presque le coup que l'équipe de France se fasse éliminer eu premier tour.