Journal de crise
Accès de révolte
Bien sûr, ce serait pure malveillance de notre part de dire que ce brusque retour de vertu, cette passion morale pour sauver le football de l'argent-roi, cette défense désintéressée d'un corps arbitral toujours respecté soient la conséquence de l'offensive de la Ligue sur le front des droits, avec l'appel d'offre lancé pour les radios et la crainte de mesures semblables pour la presse. Certes, Thierry Gilardi a posé des questions à Gérard Bourgoin sur le plateau de Canal le week-end précédent, et cela semble un exploit à la télévision, mais ce sont effectivement les radios et la presse écrite qui sont montées au front, baïonnette au fusil.
Amusant d'entendre sur France Info, qui abrite quelques fous du marché, un procès en bonne et due forme de la libéralisation à tout crin, avec une journée spéciale sur le sujet (le jour d'un record de morts dans le conflit israélo-palestinien). Sur d'autres ondes, on éditorialise, on morigène, on se soulève. Côté papier, le groupe Amaury s'est particulièrement déchaîné, même si L'Equipe, un peu empêtrée dans son contentieux avec l'OM, est restée un peu en retrait (1). Mais Le Parisien nous gratifie d'une série "Le foot en folie", et France Football outrepasse ses normes de bienséance en voyant Fernandez "partir en sucette".
Pourtant, cela fait longtemps que les dérives se prononcent. Pour ne parler que du respect de l'arbitrage, élément déclencheur de la crise, on en est simplement revenu à la situation de l'an passé, un peu aggravée dans la mesure où les engagements pris ont été explicitement bafoués. Aulas tient le même discours depuis des années. Ses alliés et lui appliquent un programme connu. L'issue de cette politique est claire depuis le début. Pour un peu, on verrait dans cet élan militant l'effet de notre travail de sape et notre rayonnement occulte sur la presse sportive. Mais plus rationnellement, l'opération a évidemment pour but plus ou moins conscient de rappeler aux dirigeants le pouvoir des médias. Le pouvoir de dire la vérité et de défendre certaines valeurs. Mais uniquement quand les médias sont menacés.
Bourgoin, le fusible qui cache la centrale électrique
Le problème, c'est que le président de la Ligue focalise excessivement les critiques et devient le symbole de l'indigence générale. Il est même assimilé à la meute ultralibérale qui l'a accidentellement porté au pouvoir il y a vingt mois, alors qu'elle est en fait très embarrassée par le personnage. Devant la grogne générale, il faudra bien que quelqu'un fasse les frais d'un remaniement suffisamment frappant, et Bourgoin est le client idéal. Certes, les instructions sur la faillite de son groupe font traîner sa mise en examen, mais sa candidature aux élections législatives est un prétexte idéal. La majorité de la Ligue serait alors en position de le remplacer sans changer sa politique d'un iota.
Il y a tout de même des risques pour le clan Aulas-Martel-Campora. D'abord parce qu'aucun candidat crédible n'est aujourd'hui disponible dans leur propre camp, et que les volontaires vont se faire encore plus rares. Ensuite parce leur majorité pourrait être menacée si quelques présidents prennent finalement peur du virage libéral (celui qui les a menés au déficit) et s'il se tournent vers le tenant d'un retour à la modération. Mais là aussi, à moins d'un théâtral retour de Noël Le Graët, les éligibles ne sont pas légion.
Simonet : le triple airbag de série
Le président Simonet est lui aussi sorti de sa torpeur, assommé qu'il devait être par le ridicule qui s'est abattu sur le football français. Mais rassurez-vous bonnes gens, ce n'était pas pour taper du poing sur la table et faire les gros yeux aux professionnels, défendre le corps arbitral et exiger des limites à la surenchère commerciale sur les droits de diffusion. Non, il a fustigé la Ministre des sports, qui trouble son repos par des appels à la reprise en main et qu'il a accusée (à mots couverts) d'être en campagne électorale. Il y a un peu plus d'un an, Simonet était lui-même en campagne électorale, et le l' objectif majeur de sa prochaine mandature devait être la protection, le développement et l'amélioration de l'arbitrage (voir Fédération : la fracture sociale).
En fait, Claude Simonet a pris le plus puissant des anesthésiques. Un pactole de 460 millions de francs (70M€) pour les cinq années à venir qui a muselé la Fédération depuis l'accord signé avec la Ligue.
(1) Ce lundi 11 mars, L'Equipe inaugure une série "La crise du football français".