L'arbitre aussi rage
La semaine dernière a été très difficile pour le football français. Monopolisée par les affaires de faux passeports, la presse a donné peu d’importance à un fait pourtant primordial: la menace des arbitres de boycotter le match Strasbourg-Metz. On se souvient qu’à l’occasion de la première mouture de celui-ci, l’arbitre-assistant Nelly Viennot avait été atteinte par un pétard jeté des tribunes.
Avec cette menace, le corps arbitral a donc décidé de passer à l’action. Depuis plusieurs semaines, il ne cesse d’exprimer un malaise grandissant. Visiblement dégoûté par le manque d’écoute des instances dirigeantes (Fédération et Ligue), il a naturellement enclenché la vitesse supérieure. Faute de résultats rapides et probants, cette action pourrait bien être la première d’une série destinée à ramener plus de considérations autour de cette activité primordiale.
En effet, bien qu’indispensable au jeu, l’arbitrage est en France de plus en plus traité comme la dernière roue du carrosse. Amateurs indemnisés, les hommes en noir évoluent au sein d’un environnement où le professionnalisme est roi. Ce dernier s’accompagnant d’enjeux financiers en constante augmentation, leur situation devient anachronique et contribue à les affaiblir.
Garant de l’application des règles et apportant à un football en constante mutation une stabilité salutaire, ils se retrouvent isolés face à de multiples agresseurs potentiels. Au premier rang de ceux-là, les joueurs. Si les conflits ont toujours existé entre siffleurs et sifflés, force est de constater que la mission des premiers se complique singulièrement. De moins en moins respectés et souvent à la limite de l’agression physique en cas de sanction forte (cartons ou penalties par exemple), les arbitres doivent également faire face à une augmentation substantielle de la vitesse du jeu qui complique encore leur tâche. Ajoutez-y une professionnalisation de la tricherie qui rend la majorité des joueurs dignes de candidats aux Césars et des milliers de supporters toujours prêts à vous insulter et vous aurez une idée de cauchemar que peuvent devenir certains matches.
Malheureusement, le danger ne se limite plus à ce front traditionnel. Le corps arbitral doit également faire face aux attaques des dirigeants. Nombre d’entraîneurs (pourtant titulaires du titre d’éducateur et à ce titre se devant d’être exemplaires) n’hésitent plus à multiplier les déclarations mettant en cause les arbitres en cas de résultat contraire. L’audience médiatique exceptionnelle accordée à leurs propos jette un discrédit continu sur leurs victimes et les affaiblit d’autant. Cette vengeance par voie de presse fait d’ailleurs souvent suite à une rencontre où les hommes en noir ont eu à subir les récriminations de ces mêmes entraîneurs pendant la durée du match. Là aussi les limites sont sans cesse repoussées et chaque journée de championnat laisse augurer du pire (voir le comportement vraiment limite d’Antonetti lors du dernier match à Furiani).
Plus grave encore, dorénavant ces sont les hauts dirigeants (les Présidents pour ne pas les nommer) qui entrent dans la danse. Là aussi pressions diverses et agressions verbales deviennent un peu trop fréquentes. Insultes, mise en doute de l’intégrité ou de la compétence, tout y passe. Ces attaques dépassent largement le cadre du "pétage de plombs" occasionnel. Elles sont le reflet d’une difficulté grandissante des dirigeants à assumer les conséquences d’évènements qu’ils ne peuvent régenter. Pression quand tu nous tiens…
Face à toutes ces attaques, l’arbitre apparaît bien seul. Muré dans un silence inhérent à sa fonction, il peine à se défendre, n’ayant que sa bonne foi et sa conscience comme boucliers. Lassés d’être pris pour boucs émissaires systématiques, certains ont commencé au cours de la première partie de la saison à donner de la voix. Le stage de Quiberon pendant la trêve en leur permettant de se réunir a permis à l’ensemble des arbitres de première division de dégager une position commune. Ils ont ainsi fait part de leurs griefs aux Présidents de la F.F.F et de la Ligue venus leur rendre visite à cette occasion. Toutefois les belles promesses ce coup-ci ne suffiront sans doute plus. Accablés par ce lourd passif à leur égard et anxieux face à une fin de saison qui s’annonce on ne peut plus indécise, et où en conséquence chaque point vaudra de l’or, la corporation réclame des garanties et un changement de statut. La garantie que les belles intentions exprimées par Claude Simonet lors de sa réélection ne restent pas des paroles en l’air. Ou celle que les sanctions prises sur le terrain ne soient plus systématiquement réduites par la commission d’appel et d’éthique (commission qui porte bien mal la seconde partie de son nom). Celle-ci en agissant de la sorte fait trop souvent passer les arbitres pour des potiches dont les décisions apparaissent sans portée réelle.
Pour (entre autres) se démarquer clairement de cet organisme, les arbitres souhaitent couper au plus vite le cordon ombilical qui les relie à la Ligue. Indemnisés par celle-ci, ils ne peuvent s’affranchir de son pouvoir. C’est donc tout naturellement qu’ils expriment le souhait de retourner dans le giron de la FFF. N’ayant plus aucun lien avec l’organisme dirigé par G.Bourgoin, ils pourront ainsi dénoncer plus librement les dérives constatées ces derniers mois et l’impunité relative dont bénéficient certains dirigeants tout près des arcanes du pouvoir (Courbis, Martel, Aulas, pour les faits les plus récents). Loin de la bataille d’épiciers que se livrent les dirigeants de Strasbourg et de Metz au nom de l’éthique du jeu, ils pourront également exprimer leur dégoût devant la décision de faire rejouer ce match. Faudra-t-il un blessé grave pour que les dirigeants concernés réagissent en êtres humains responsables?
Avouons que dans ce combat nous sommes entièrement du côté de l’Union nationale des arbitres de football (UNAF). Ce parti pris ne nous empêche cependant pas de nous demander pour quelles raisons il lui a fallu si longtemps pour passer à l’action. Celle-ci se légitimant d’elle-même face au mépris affiché par les instances supérieures.
Espérons que le recadrage indispensable sera effectué et que les arbitres retrouvent au plus vite le respect qui leur fait défaut. Le combat s’annonce rude et long. Le jeu en vaut pourtant la chandelle tant les bénéfices s’annoncent importants pour tout le football français. Le haut niveau est en effet une caisse de résonance incomparable. Chacun d’entre nous, du plus petit au plus grand, prend exemple sur cette arène prestigieuse. Les comportements qui y sont observés sont imités dans la seconde sur tous les terrains de France. En cas de dérives, ce miroir a donc un effet dévastateur. En revanche, dans l’hypothèse inverse, il peut permettre à notre sport favori de retrouver progressivement la plupart de ses vertus éducatives. En raison de l’importance de cet enjeu, il appartient à chacun de réfléchir aux meilleures solutions pour que les directeurs du jeu puissent de nouveau lutter à armes égales avec les différents acteurs du haut niveau. Modifications des règles leur facilitant le travail, alourdissement du pouvoir de sanction, indépendance accrue, professionnalisation, les pistes sont nombreuses. Aux dirigeants de prendre le temps d’y réfléchir. Aux arbitres de les mettre face à leurs responsabilités.