Nicolas et les journalistes
Dans le droit-fil de son propre mythe, Nicolas Anelka, très discret depuis de début de la saison (certains diront: "surtout devant les buts"), a ajouté un épisode cantonesque à sa jeune biographie. Une altercation verbale qui dégénère avec un journaliste à la sortie des vestiaires, une gifle, et Nico est rentré à la maison pour tout expliquer sur son site Internet.
Les journalistes sportifs sont une espèce humaine particulièrement irritante, et il y a quelques supporters qui peuvent s'imaginer, à la lecture d'un article, en venir aux mains avec son auteur, mais bien entendu rien ne justifie qu'un joueur en arrive à de telles extrémités, si l'on ose dire. Par contre, s'il a l'obligation professionnelle de ne pas gifler un journaliste, a-t-il celle de répondre à leurs questions et de devenir familiers avec eux? C'est de cela qu'il est permis de douter, car à l'origine de cette anecdote, il y a le refus de l'attaquant parisien d'entretenir la moindre relation avec nos confrères, notamment ceux qui sont délégués en permanence auprès du club. Anelka l'explique dans son "journal", avec ses mots à lui: "Je fais ce que je veux et si je parle pas ou si je dis pas bonjour aux journalistes ou aux autres, c’est mon problème. Qu’ils n’aient pas d’info sur moi dans leur journal, je m’en fous! (…) Tous les jours, je sors des vestiaires je ne calcule personne et je pars".
Les journalistes ont vite fait de penser que les footballeurs sont tenus de leur fournir la matière de leurs articles, au nom du droit du public à l'information (alors que c'est surtout dans leur propre intérêt). Le boycott de Lemerre et certains internationaux durant l'Euro avait souligné ce sentiment très développé chez certains professionnels ulcérés (voir Le silence de Lemerre et le bruit des médias et Lemerre et les médias: rupture de faisceau).
Pourtant, quel est l'intérêt absolu de lire des interviewes répétitives, d'entendre de la langue de bois des joueurs, de subir des questions idiotes et des réponses au diapason? Il nous pardonnera, mais en plus, Anelka n'est pas franchement passionnant devant les micros. D'autre part, les rédacteurs de la presse spécialisée manquent-ils à ce point d'imagination pour ne pas pouvoir se passer de ces rituelles déclarations? Ce qui en ressort c'est surtout la frustration de journalistes qui pensent que les pros doivent constamment leur fournir du grain à moudre. L'épisode est d'autant plus significatif qu'il se produit avec un joueur qui utilise son site comme unique moyen de communication, en court-circuitant les relais traditionnels de l'information. Si elle comporte des dangers, cette stratégie de plus en plus souvent adoptée a surtout pour effet de couper l'herbe sous le pied des médias traditionnels, ce qui n'est pas sans les énerver.
Bien sûr, on aura beau jeu d'affirmer que nos vedettes surpayées ont le devoir de s'exprimer et de commenter publiquement les aléas de leur vie professionnelle, qui est largement exposée. Le concept de cette dette envers les "consommateurs" de football semble pourtant assez peu fondé, si l'on considère que l'expression des sportifs est surtout attendue sur le terrain. Ensuite, il y a bien assez de joueurs qui jouent le jeu des micros pour que certains autres puissent s'en abstenir, sans compromettre gravement l'activité des médias sportifs.
Cette évolution sera vraisemblablement celle d'une génération de footballeurs qui se laissent de moins en moins imposer des contraintes de la part de leurs employeurs, comme celle d'entretenir des relations aussi cordiales (ou hypocrites) que possible avec la presse. Il est vrai que retrouver ses déclarations déformées ou coupées de leur contexte pour en faire un titre accrocheur (comme dans les brèves des Cahiers!), ce n'est pas non plus très motivant. L'expérience d'Anelka avec les médias anglais puis espagnols ne l'a pas vraiment disposé à se prêter à l'exercice en toute liberté. Et cette mésaventure française indique qu'il n'est pas près de se réformer. Les journalistes se consoleront en constatant que de la matière, il leur en fournit quand même.
Le mot de la fin pour Nicolas : "Ca fait deux ans qu’ils écrivent des conneries sur moi, deux ans que je les vois tous les jours et je n’ai jamais bougé. Si j’avais voulu en attraper un, y’a bien longtemps que je l’aurais fait et sûrement pas pour des histoires de «bonjour» mais pour des trucs autrement plus graves écrits à mon propos".