Quand les télés font le calendrier...
Canal+ vient de réussir son effet en programmant à 17h15 un de ses deux matches "décalés", juste avant la journée entière. Ce précédent aurait pu passer comme une lettre à la poste, si cela n'avait tenu qu'à la Ligue qui a donné sa bénédiction sans même consulter l'autre diffuseur, TPS. Lequel, furieux, a engagé une action en justice. Bourgoin a fait déjà preuve à cette occasion de la désinvolture qu'on lui prêtait, en se justifiant à peine. "Le contrat permet aux patrons de Canal+ de diffuser leurs matches à 19h59 s'ils en ont envie. Les gars de TPS n'avaient qu'à faire attention" (L'E 04/09). Les "gars de TPS" apprécieront, notamment le sens diplomatique du nouveau président.
La chaîne cryptée a également été la cible de critiques de la part de l'ASM, à propos du match Monaco-Marseille décalé à mardi, ce qui prive les Monégasques des internationaux retenus en sélection ce week-end. Les récriminations de Claude Puel seraient justifiées s'il n'était au courant depuis le 7 août, et si les accusations qu'il porte n'étaient à la limite de la diffamation. Au passage, l'entraîneur monégasque devrait mettre un terme à un "victimisme" qui devient franchement lassant. Depuis justement le OM-Monaco de la saison passée, il semble que Puel ait adopté ce ton plaintif comme seul et unique registre de communication.
Il reste qu'étant donnée la position ambiguë de Canal+ vis-à-vis du championnat et du PSG, les soupçons devraient être totalement évités en empêchant simplement que de telles situations de produisent.
Mais l'absorption progressive du football par la télévision, et particulièrement des championnats, provoque inévitablement un dérèglement croissant des calendriers, qui se modèlent sur les grilles de programmes. En Angleterre, où cette mainmise est totale via Murdoch et le pay-per-view, certains matches ont lieu le lundi, d'autres le dimanche à midi... Les journées restent incomplètes pendant des mois, se chevauchent les unes les autres... On voit déjà en France des journées découpées en trois tranches, accentuant l'envahissement du football sur les écrans et diluant l'intérêt de la vraie soirée de football.
L'exploitation du téléspectateur passe aussi par un certain mépris du spectateur: les stades sont pleins, alors on peut faire n'importe quoi. Les abonnés sont priés de subir avec bonne grâce les déprogrammations successives et le calendrier de début de saison prend un caractère aussi symbolique que certains contrats de joueurs. Le match du samedi à 17h15 est donc appelé à se banaliser à son tour, et ceux qui se rendent dans les stades n'ont pas été consultés puisque cette billetterie-là n'est pas gérée par les chaînes... Les clubs ne bronchent pas trop, car ils savent que telle est la rançon du nouveau pactole télévisuel.
L'autre type de conséquence touche évidemment les équipes et la régularité du championnat, aux deux sens du terme: le rythme des compétitions est bouleversé, et les "hasards" du calendrier sont suspectés d'avoir été prémédités, en ce qu'ils avantagent toujours l'une ou l'autre des équipes. De plus, les plannings nationaux entrent en collision avec les rendez-vous internationaux, aggravant le chaos.
Le système d'un seul match décalé et diffusé avait vécu assez longtemps pour maintenir un certain équilibre. La course aux droits de retransmission et la concurrence nouvelle ont accéléré le processus, devant une Ligue qui veut désormais rester spectatrice de la guerre des diffuseurs. Dernier symbole de ce paysage télé-footballistique: le derby Saint-Etienne-Lyon, déjà bêtement placé en milieu de semaine, ne sera visible que sur TPS, comme beaucoup d'affiches depuis un an (idem sur Canal+ vert). La surexploitation médiatique conduit paradoxalement à ce que de moins en moins de matches soient réellement disponibles pour chacun, et de moins en moins gratuitement...