Mon dernier championnat
Pour un passionné de football, à quel moment vaut-il mieux quitter ce monde avec le minimum de frustrations? "Cellule psychologique" extraite du n°28 des Cahiers du football.
Auteur : Thibault Lécuyer
le 7 Dec 2007
J’ai beau sembler bien trop jeune pour y penser déjà, l’idée de ne pouvoir suivre le dernier championnat de mon existence jusqu’à son terme me rend malade. Le pire, c’est que je risque de le sentir venir : je suis pacifiste, et donc absolument opposé à toute idée de mort violente. Surtout me concernant. Partir un jour sans retour, certes, mais les 2 Be 3 n’ont pas précisé quand. Je me sens partir déjà un peu, lorsque cette obsession me harcèle.
Après une grande saison
Déjà, il n'est pas question de quitter ce monde et la Ligue 1 en début de saison. Les nouveaux joueurs ont toujours eu besoin de mon soutien pour s’intégrer. Pour certains, il n’a même pas suffi. Il est donc hors de question que je fasse faux bond à une nouvelle recrue porteuse de si grands espoirs puisqu’à peine arrivée. Et puis, les systèmes de jeu ne sont pas encore rodés à cette période de l’année de toute façon. J’ai toujours été bon public avec mes petits préférés, ce n’est pas pour arrêter de taper dans mes mains au moment où ils ont le plus besoin de ma mémoire de supporter.
Programmer ma fin en pleine crise hivernale, ce n’est pas mon genre non plus. Je n’ai pas lâché mon club quand il se morfondait en Division 2, ce n’est pas pour rater la première crise hivernale salvatrice de son histoire. Statistiquement, ça arrivera forcément un jour et, après en avoir essuyé tant de vaines, ça me ferait bien plaisir de connaître la dernière, celle qui va tout changer, tout remettre d’aplomb. Je pourrais m’en aller avec l’esprit libéré, au moins.
Mais j’ai bien réfléchi, les probabilités sont contre moi. J’ai toutes les chances de partir en plein milieu d’une lutte acharnée dont le terme m’échappera pour l’éternité. Aurais-je la force de tenir afin de savourer la qualification pour une ultime coupe d’Europe? Idéalement, il faudrait que je retourne à la poussière au cœur de l’été, et encore. Pour peu que j’aie le mauvais goût de mourir une année paire, je tomberais en plein tournoi international. Ce serait encore pire. Non, il faut que je m’arrange pour décoller dans les quinze derniers jours de juillet, là je serais certain de ne rien laisser d’inachevé derrière moi. Je pourrais m’éteindre en même temps que la saison, et sur ma tombe on gravera que je suis mort en 2054/2055. Non, merde, en juillet il y a le mercato. Je ne peux pas m’en aller sans savoir si les rumeurs sont confirmées.
Je n’ai jamais autant eu envie de croire à une vie après la mort. Et encore, j’ai peur que là-haut, on n’ait acheté que les droits de la Premier League.