Les arbitres français ne sifflent pas plus que les autres
Contrairement au poncif en vigueur, les arbitres de L1 sifflent moins de fautes et donnent moins de cartons que leurs confrères du top 5 européen – Anglais exceptés. Les chiffres.
C'est un des lieux communs les plus souvent assénés sur les plateaux de télévision, un présupposé indiscutable et indiscuté, une vérité qui va tellement de soi que personne ne l'a jamais vérifiée: pourquoi s'en donner la peine, alors que tout le monde s'accorde sur elle pour alimenter le sempiternel procès des arbitres français? Ces derniers, donc, "sifflent trop", ils nuisent au jeu par leurs interventions trop nombreuses et leur manque de discernement.
Il n'était pourtant pas très difficile de confronter cette idée reçue (grand classique du Canal Football Club notamment) avec la réalité, à l'heure où la production de statistiques est abondante. La société Opta nous a aimablement procuré une donnée simple: le nombre de fautes sifflées par match dans les cinq grands championnats européens, au cours des quatre dernières saisons.
Le premier constat est qu'à l'exception de la Premier League, qui présente des moyennes exceptionnellement basses, cet indicateur varie assez peu avec un delta de trois fautes entre les quatre autres championnats. Le second réside dans le fait que la Ligue 1 est... le deuxième championnat où l'on siffle le moins de fautes (28). Ceci depuis deux saisons: la tendance est à la baisse partout, mais cette baisse est particulièrement marquée en France. Or, la Direction nationale de l'arbitrage a justement passé, depuis trois ans, la consigne de moins intervenir dans le jeu. Souvent décriée, on constate que la DNA a en l'espèce mené une politique suivie d'effets... mais pas de reconnaissance de la part de nos experts médiatiques.
Si, donc, la Premier League semble illustrer la rengaine "En Angleterre, c'est jamais sifflé", la surprise vient de ce que la Bundesliga est la compétition dans laquelle les arbitres interviennent le plus souvent. En d'autres termes, les deux championnats souvent considérés comme les plus spectaculaires montrent des pratiques arbitrales complètement opposées sous cet angle...
Un autre indicateur – d'interventionnisme ou de sévérité – peut être consulté: celui du nombre d'avertissements et d'expulsions signifiés. Au classement des cartons jaunes, les arbitres français arrivent derniers cette saison avec 3,2 par match, à distance de la Liga (5) et de la Serie A (4,8), dans les eaux de la Premier League. La Ligue 1 est avec la Bundesliga, le championnat dans lequel il "faut faire" le plus de fautes (environ 16) pour voir un carton jaune. Constat inverse pour la Premier League, dans laquelle une dizaine suffisent.
Pour les cartons rouges, la Ligue 1 se place plutôt dans le haut du classement, avec 0,24 expulsions par match, à égalité avec la Liga et en deçà de la Serie A (2,6). Le ratio rouges / jaunes est le plus élevé en France: 1 pour 13, à l'opposé de l'Angleterre (1 pour 23) – où, comme les fautes, le nombre d'exclusions est remarquablement faible. En proportion des avertissements, on peut donc dire que nos arbitres ont la détente plus facile sur les expulsions, sans pour autant se distinguer en valeur absolue.
Siffleurs et persifleurs
Pour bien faire, il faudrait interroger tous les autres déterminants de l'intervention des arbitres: l'engagement physique, l'intensité du jeu, le comportement des joueurs, leur respect relatif des décisions arbitrales. Mais aussi la "composition" des fautes sifflées et les proportions des différentes natures de celles-ci: brutalités, antijeu, contestations, hors-jeu, etc. Il reste que ces données suffisent à démentir l'image d'agents de la circulation et d'excités du sifflet collée aux arbitres français avec une belle constance sur presque toutes les antennes.
On a souligné récemment la contradiction qu'il y avait, d'un côté à vouloir protéger les joueurs et à s'outrager à chaque blessure grave contre les "bouchers" qui sévissent sur les terrains pour, de l'autre, stigmatiser un interventionnisme excessif. Arbitrer est une tâche complexe, qui consiste à chercher un compromis jamais complètement idéal, en particulier entre les nécessités contradictoires de la sévérité et de la "psychologie": en d'autres termes, il s'agit de lâcher la bride au jeu tout en tenant les rencontres pour les empêcher de dégénérer. Le débat sur l'arbitrage devrait s'intéresser à cette complexité. Et aux faits plutôt qu'aux préjugés.
Merci à Opta et Julien Momont.
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