Les quatre responsables d’une défaite
C’est lourd, une défaite. C’est décevant, c’est frustrant, c’est vexant. Les entraîneurs ont leur part de responsabilité dans les résultats négatifs mais se dédouanent grâce à plusieurs catégories d’accusés.
Quatre catégories de raisons sont données par les techniciens pour expliquer leur défaite. Ces raisons sont évidemment des désignations d’accusés, que l’on a choisi de ranger par ordre décroissant de fréquence. Fait remarquable: moins les raisons sont mentionnées, plus elles sont nobles.
Nota Bene: face à l’incapacité de comparer et analyser l’intégralité des déclarations d’après-match, il a été décidé d’indiquer les proportions à la louche.
La faute à untel : 58% des cas
Le terrain, l’arbitrage, le calendrier, les blessés et d’autres choses encore: elles sont nombreuses les causes qui épargnent totalement les perdants. On sous-entend que si les conditions avaient été normales – pas favorables, juste normales – alors on n’aurait pas perdu. Réaction humaine s’il en est: la colère accusatrice prend la défense de l’orgueil blessé, et épargne l’égo dans le même temps. On n’a perdu que parce que dans ces conditions – extérieures, funestes, complotées – il était impossible de gagner.
Ces guerres contre l’injustice ont généralement l’air de caprices, aveugles quant à ses propres responsabilités et aux marges de manœuvre qui restaient disponibles. Espérons que les nombreux récents retournements de situation (Paris qui se qualifie à dix à Stamford Bridge, par exemple) ou que les discours intelligents et responsables de, complètement au hasard, Marcelo Bielsa rappelleront aux footballeurs qu’ils devraient davantage se focaliser sur le cap à tenir vaillamment que sur les bâtons mis dans leurs roues.
Exemples :
- Ghislain Printant: "Marre que les Corses soient arbitrés différemment des autres. L’amputation n’était que la troisième faute du match."
- Jean-Michel Aulas: "Les éléments se sont ligués contre nous avec notamment un but qui est la conséquence d’un faux rebond. Nous dirons que c’est un but de Johnny Hallyday car tout le monde a pu voir que le ballon avait rebondi dans un trou juste devant la cage."
- Laurent Blanc: "Jouer des matches, ça fatigue."
- Les Marseillais: "ELLE EST RENTRÉE D’UN MÈTRE."
- Sébastien Frey: "Je n’étais pas habitué à la lumière des projecteurs."
- Mickaël Landreau: "Les ballons d'aujourd’hui flottent beaucoup trop."
- Rolland Courbis: "Jouer avec un maillot vert sur un terrain vert, ça crée la confusion."
- Arsène Wenger: "Je ne me sens pas responsable de [la blessure de Thierry Henry] car je pense que Thierry a été mal encadré par l'équipe de France."
(Deux sont véridiques, saurez-vous les retrouver?)
La faute à personne : 34% des cas
Dans cette catégorie trônent les bons vieux “détails” sur lesquels se jouent apparemment certains matches, les grands notamment. Ces détails désignent aléatoirement la fameuse concentration qu’il a été difficile de garder, l’inexpérience, le hasard (poteau à la 48e), l’habitude de l’adversaire de jouer à ce niveau, etc. Les légendaires derniers gestes ou dernières passes et leur consœur, la finition, relèvent elles aussi de cette catégorie. Tout a été bien fait, mais à un moment on a tremblé, c’est comme ça, mais ça aurait pu être autrement. “Ça a souri à l’adversaire…”
Avec de telles déclarations, sans doute l’équipe qui a perdu est-elle en cause, mais pas vraiment non plus, dans le sens où l’éventualité qu’on ait pu gagner n’a pas du tout été évacuée. En bref, l’entraîneur n’est pas en colère, il est juste un peu amer: au fond de lui, il sent bien – et c’est cela qu’il communique en conférence de presse – que ça aurait pu passer, qu’il avait bien préparé le match, fait les bons choix… Seulement voilà: le très haut niveau a ses exigences, et il semblerait que celles-ci contiennent une bonne part de choses aléatoires. La prochaine fois ça passera.
Exemples :
- Pascal Dupraz: “De toute façon, personne nous aime.”
- Les Stéphanois: “Foutus poteaux carrés.”
- Antoine Kombouaré: “Mes latéraux de douze et treize ans ont manqué d’expérience sur ce coup.”
- Pablo Correa: “Avoir Damien Grégorini dans les buts, c’est la faute à pas d’chance.”
- Raymond Domenech: "Les astres étaient contre nous."
- Ulrich Le Pen: "On a perdu sur un détail de l'histoire."
La faute à soi : 7% des cas (dont 92% par Marcelo Bielsa)
Le week-end dernier encore, Bielsa a reconnu sa part de responsabilité (quel autre fautif que l’entraîneur lorsqu’une équipe est désorganisée?). Ce procédé est peut-être un piège. La prolepse est une figure de style bien connue, qui consiste à prévenir une objection pour ne pas en être victime: c’est une façon de la réfuter. Si vous vendez du Smecta en disant “C’est dégueu mais ça marche”, on ne pourra pas vous rétorquer que c’est dégueu. Ceux qui reconnaissent leurs torts veulent-ils ainsi couper l’herbe sous le pied des critiques, pressés d’incriminer mais coupés dans leur élan par l’aveu de faillite de la cible? D’autant que, comme le dit le proverbe: “Faute avouée, faute à moitié sanctionnée.”
Mais il n’est pas non plus interdit de penser que l’entraîneur est juste honnête et lucide. Il n’est pas non plus interdit de remarquer que, parfois, certains coaches veulent exclusivement “protéger leur équipe” en s’accusant (surtout en Angleterre, et surtout à Chelsea). Il est en effet très confortable de “prendre sur soi” lorsqu’on a le sentiment d’agir héroïquement en bienfaiteur pour ses joueurs, tel le Dark Knight pour Gotham City. Attention, si c’est trop flagrant, ce n’est plus du tout noble, c’est de la communication.
Exemples :
- José Mourinho: “C’est de ma faute si on s’est fait dominer par Burnley. La possession du ballon, c’est inutile.”
- Marcelo Bielsa: “Cette passe ratée de Brice Dja Djédjé est de ma responsabilité. Elle est la conséquence d’un oubli regrettable de ma part à lui signaler qu’il devait transmettre le cuir aux joueurs vêtus d’un maillot de couleur blanche et non rouge.”
- Laurent Blanc: “C’est de ma faute si Franck Leboeuf est aussi insupportable depuis 1998.”
- Laurent Koscielny: "C'est ma faute. Ou plutôt c'est mes fautes."
- Lionel Letizi: "C'est de ma faute. Tout est de ma faute. Je me sens tellement triste."
- Nicolas Anelka: "De ma faute à moi? Alors là, c'est la meilleure celle-là!"
La faute à la supériorité de l’adversaire : 1% des cas
Pas noble du tout, pense-t-on a priori, lorsque l’on reconnait simplement l’infériorité de son équipe. Victimisation, faiblesse, refus de mouiller le maillot. Facilité. Mais s’il était si facile de dire “On a été moins fort”, on l'entendrait plus fréquemment dans la bouche des entraîneurs. Laurent Blanc vient de montrer que c’était possible, et on doit l’en féliciter: selon lui, le PSG a tout simplement été éliminé de la Ligue des champions par plus fort que lui. Toutes les autres raisons (“Et on a manqué d’agressivité au milieu de terrain, et on a des blessé, et on n'a pas joué notre meilleur football, et gnagnagna…”), c’est de la fausse mauvaise conscience, c’est une remise en cause de surface, c’est de la mauvaise foi grimée en lucidité. Le sous-texte est souvent: “Si on avait joué à notre meilleur niveau ça ne se serait pas passé comme ça, moi je vous le dis.”
Trouver des accusés ou reconnaître ses torts, c’était reconnaitre la défaite, sans accepter pour autant que l’autre avait été meilleur. Qu’il ait gagné, soit, mais pas qu’il soit supérieur, ça non. C’est psychologiquement impossible à formuler, pour un compétiteur. À moins que celui-ci ait suffisamment d’humilité pour reconnaître qu’en dépit de tous les efforts et de toute l’ambition, l’équipe s’est heurté à une tour imprenable, et qu’il ait suffisamment de courage pour l’avouer. Ou alors que le décalage soit tellement flagrant qu’il n’y a rien d’autre à ajouter. On s’honore plus qu’il n’y parait en ne cherchant ni les excuses, ni les coupables. Quand on n’a pas su tenir tête, on n’a parfois plus qu’à faire profil bas.
Exemples :
- L’entraîneur des Samoas américaines: “L’Australie, c’est fort.”
- Sidney Govou: “Cette vodka-orange était trop forte.”
- Sergio Ramos: “J’ai tiré un peu trop fort.”
- Laurent Blanc: "Contre un Barça de ce niveau, ça ne servait à rien de tenter quoi que ce soit. D'ailleurs je m'en suis bien gardé."