Un Pierre dans notre jardin
Faut-il encore parler de Pierre Ménès en 2019? Pourquoi pas, puisqu'en 2019 il est toujours là et que cette présence est chaque année plus embarrassante.
On dispute la 47e minute du Canal Football Club, quand retentit un puissant bruit corporel pendant que Laure Boulleau commente le match PSG-Fleury en D1 féminine (4-0). Pierre Ménès vient de signifier son hilarité, et quand le résumé s'achève quelques secondes plus tard, le réalisateur ne s'y trompe pas: il cadre l'animateur, effondré le visage entre les mains.
Dès son premier son, Pierre Ménès nous fait habilement comprendre qu'il rit de la sortie hasardeuse de la gardienne de Fleury. À l'image, il nous permet de visualiser ce rire. Enfin, il verbalise, en réponse à Hervé Mathoux: "Je ne dénigre pas le foot féminin, je dénigre les gardiennes". Et d'ajouter: "Qu'est-ce qu'elle fait, là, elle est allée chercher sa montre?" en suscitant un mélange de rires gênés et de rires gênants.
Liquidateur
Le propre des blagues de Pierre Ménès est qu'on les comprend trop bien. Elles relèvent d'une forme d'humour qui consiste à se moquer et qui a donc besoin de cibles faciles. Il s'esclaffe. Et rapporte tout à lui.
La moitié de la minute consacrée au football féminin dans l'émission a ainsi été trustée par le spectacle de son hilarité. Laure Boulleau s'est fait deux fois couper la parole et l'embarras s'est lu sur le visage des autres. Non pas que le niveau des gardiennes ne soit pas un sujet de critiques, c'est même un sujet intéressant. Le problème est que Pierre Ménès liquide les sujets.
Il ne s'agit pas non plus de déplorer la portion congrue réservée au football féminin: la plupart des médias spécialisés évoluent très positivement à cet égard. On peut simplement regretter qu'un comique des années 70 se sente obligé de débouler avec des blagues d'époque fin Pompidou-début Giscard d'Estaing. Il ne manquait que le logo de l'INA dans le coin de l'écran.
Très imprudemment, la semaine dernière, il avait fustigé "les accusés de la Ligue du lol tout ce conglomérat de bobos suffisants et donneurs de leçons qui étaient en fait des harceleurs", s'exposant à une reprise de volée immédiate et au rappel de son palmarès de considérations sexistes.
"Pas que des conneries"
Cyril Linette, ancien patron des sports de Canal+, avait laissé sa vedette se multiplier dans toutes les émissions. Il était partout. Quelques années plus tard, il est tout à la fois. Journaliste, consultant, humoriste, commentateur. Au générique du CFC, on le découvre… présentateur de l'émission (!). En 2013, il fut même l'invité d'honneur de J+1 et on l'aperçoit jusque dans les pages de publicité qui interrompent les émissions.
Comprendre que c'est lui qui commente un match de son équipe préférée, un vendredi soir, c'est commencer le week-end dans un état d'abattement immérité. Pierre Ménès ne sait être que lui-même, alors il ne commente pas, il fait du Pierre Ménès, et seuls ses fans les plus hardcore peuvent encore s'accommoder de ses blagues sans écho.
Par quel prodige les dirigeants de sa chaîne le maintiennent à un tel niveau de visibilité? Le personnage ne fait pourtant plus illusion: journaliste de connivence, homme-sandwich, chroniqueur qui sous-traite ses chroniques, détaillant de la démagogie anti-arbitrale, détenteur d'un sentiment de compétence et de légitimité universelles, bloqueur compulsif de tous ses contradicteurs sur Twitter…
Cela fait longtemps, aussi, que ses analyses sont plus drôles que ses blagues. "Il ne dit pas que des conneries", entendait-on le plus souvent à son propos, en un aveu involontaire de l'attente minimaliste à son égard, ou du pari qu'en plaçant la barre si bas, un vaste public pourrait se reconnaître en lui.
De Pierre en pire
N'ayant élevé que son niveau de "je", il est aujourd'hui condamné à s'autoparodier indéfiniment. Et nous à le subir quand nous ne pouvons l'éviter. On n'aurait d'ailleurs jamais écrit ce texte si on s'en était tenu à la sage habitude d'un visionnage du CFC en différé afin de sauter les parties en plateau.
Il semble ne lui rester que sa notoriété – un capital essentiel, difficilement épuisable, pour survivre médiatiquement – et le personnage qu'il a habilement créé, parfaitement adapté à la demande. Mais le malentendu s'est dissipé: le sniper ne tire que sur les ambulances, l'expert ne tire le débat que vers le bas.
Si on a longtemps vu ce qui suscitait la sympathie chez lui, sa carrière apparaît comme une inéluctable régression. À ne pas changer d'un iota dans un univers qui a beaucoup évolué ces dernières années, il apparaît en effet comme le vestige d'une époque révolue: la sienne. Ni intéressant, ni divertissant, sa valeur ajoutée s'est évaporée.
Alors le silence qui suit de plus en plus souvent ses propos, c'est un peu de leur vide qui se répand. Entre lieux communs du jour et diatribes si prévisibles contre les arbitres qu'on les entend avant qu'elles ne soient lâchées, il pourrait être remplacé par un générateur automatique. Qui présenterait l'avantage de pouvoir être désinstallé.
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